Alexandrie, porte de l’Égypte

 

« Or, il y a en avant de l'Égypte, dans la mer aux nombreuses houles, une île qu'on appelle Pharos; elle n'est éloignée que d'une pleine journée de marche d'un vaisseau creux, s'il a en poupe le souffle de la brise fraîche; et là se trouve un port au bon mouillage, d'où on lance vers la haute mer les nefs bien équilibrées, quand elles ont fait leur provision à l'aiguade profonde. »

Homère, L'Odyssée (IXe siècle av. J.-C.)

Alexandrie,  deuxième  ville  du pays avec plus de trois millions d'habitants, capitale de l'Égypte depuis l'arrivée des Grecs jusqu'à celle des Arabes, est l'un des ports les plus importants de la Méditerranée. Traversée par plusieurs cultures, Alexandrie est une ville mythique; son phare, l'une des Sept Merveilles du monde antique (avec les pyramides de Giza), fait toujours rêver. Née de l'ambition démesurée d'un général macédonien aux cheveux blonds, Alexandre, puis résidence officielle des Lagides, devenue seconde ville de l'Empire romain avec l'étrange dynastie des Ptolémées, Alexandrie fut au IIIe siècle avant notre ère, la plus grande cité de la Méditerranée orientale.

Héritière de l'hellénisme, la nouvelle ville sut créer sa propre personnalité à partir d'une rencontre subtile entre la culture grecque et la culture égyptienne. Elle sut aussi réunir des richesses monumentales comme le phare, la bibliothèque, des monuments luxueux, les palais royaux du quartier de Bruchéion. Certains témoignages du passé ont survécu, d'autres viennent à peine d'être découverts. Malgré son cosmopolitisme intellectuel et commercial - Strabon la surnomma "le comptoir du monde" - Alexandrie eut pour vocation de rester extérieure à l'Égypte pharaonique et demeura Alexandrea ad Aegyptum, marginale de l'Égypte.

Ville de va-et-vient, Alexandrie demeura une ville libre, ouverte au monde et jusqu'à la moitié de ce siècle, une ville polyglotte, un carrefour de rencontres pour des peuples venus de rivages voisins et même plus lointains. L'écrivain anglais Lawrence Durell qui y vécut, la surnomme "capitale de la mémoire". À la recherche de son passé, Alexandrie semble fouiller ses origines depuis quelques années par des campagnes archéologiques entreprises dans le sous-sol de la ville et au fond des eaux de ses deux ports. On peut en effet regretter que les villes arabe et moderne, installées à l'exact emplacement de la cité antique aient supprimé l'Alexandrie d'Alexandre et de Cléopâtre. Sculptures monumentales, mosaïques raffinées, délicates terres cuites, catacombes aux fresques éblouissantes, nécropoles secrètes (comme celle de Gabbari décrite par Strabon), découverte en construisant une autoroute reliant le port à la route du Caire), jaillissent du sol comme par miracle, et ce n'est qu'un début.

Alexandrie est une ville passionnante; il est regrettable que les voyageurs  qui  parviennent en Égypte par avion et directement au Caire, méconnaissent cette petite capitale, souvent absente des programmes de visites organisées. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, à l'époque des  grands paquebots de croisière, elle représentait pour le visiteur qui y parvenait par mer, un premier contact avec le pays. Certes, la ville n'est pas aussi étendue que Le Caire; elle ne regorge  pas, comme la capitale, marquée par le Nil, d'antiquités pharaoniques, de prestigieux monuments islamiques, de grands musées, mais elle commence à redécouvrir sa gloire antique grâce à de dynamiques missions archéologiques.

Construite à l'emplacement d'un ancien port égyptien placé entre mer et marais, sur un isthme étroit constitué d'une langue de sable qui sépare les eaux saumâtres du lac Maréotis (Mariout) de celles de la Méditerranée, la ville reste méconnue et pleine de surprises, comme la plupart des ports de l'Antiquité. Alexandrie est une ville plaisante pour y séjourner avec des hivers relativement doux, un ciel souvent bleu, de belles plages de sable fin (à éviter toutefois l'été à cause de la foule), des stations balnéaires bien équipées et de bons restaurants de poisson frais. Elle demeure une grande ville culturelle avec un important Musée gréco-romain et d'intéressants monuments antiques.

Souvent dénommée "la perle de la Méditerranée", Alexandrie a conservé son caractère à la fois oriental et occidental avec deux grands ports, de larges artères bor­dées de palmiers, une longue cor­niche ornée d'immeubles modernes, qui s'étend sur plus de trois kilomètres, sans compter le pittoresque exotique de ses petites ruelles commerçantes aux souks colorés.

Depuis la construction de l'heptastade, presqu'île reliant l'île de Pharos à la terre ferme, Alexandrie est entourée par deux ports. Le pittoresque vieux port situé à l'ouest, nommé autrefois Eunostos ou "le bon retour", date des Ptolémées. Il ne sert plus que pour la pêche ou pour la navigation de plaisance. Le grand port (Portus magnus), plus moderne (900 ha), situé à l'est, fut le grand port de l'Antiquité; c’est là qu'Antoine fit construire le Timonion, transformé en rade semi-circulaire bordée de la promenade favorite des Alexandrins. Ce port est à présent destiné à la navigation commerciale et aux navires de croisières. Il est protégé par la presqu'île de Pharos et un môle qui s'avance, avec la pointe Silsileh, assez loin dans la mer.

Grâce à ses ports, Alexandrie a pu devenir un nœud commercial important entre l’Orient et l’Occident. Les quotations du coton, principale marchandise d’exportation, se faisaient autrefois à la bourse d’Alexandrie. Dans la ville et surtout dans sa banlieue, se sont installées plusieurs industries importantes d’Égypte : usines de tissage  de coton, de métallurgie, fabriques de conserves alimentaires (poisson). S’y ajoutent un grand complexe pétrochimique, la raffinerie de pétrole de Midor, la station de pompage de Toshka qui irriguera la Nouvelle Vallée, un oléoduc de la société Sumed…Plus de 60% des importations et exportations du pays passent aujourd’hui par cette ville.

UN PEU D'HISTOIRE

À ses origines, Alexandrie n'était guère plus étendue que l'île de Pharos qui dut être reliée à la terre ferme par une digue longue de sept stades (d'où le nom d'heptastade), d'environ 1300 mètres. Les alluvions et l'accumulation de matériaux constituèrent l'actuel district d'Anfoushi qui regroupe le fort de Qaït Bey construit à l'emplacement du phare de l’île de Pharos, (d’où le nom du mot), jadis admiration des voyageurs du monde antique, le palais de Ras el-Tin, la mosquée Abou Abbas ainsi que la nécropole d’Anfoushi, pour ne citer que les points les plus importants.

Alexandre le Grand, un grand fondateur

"Quand il eut conquis l'Égypte, Alexandre voulut bâtir une grande cité, la peupler de très grand nombre d'habitants tous Grecs, et la nommer de son nom; il était déjà tout prêt à tracer un certain lieu, mais la nuit il eut une vision merveilleuse : car il lui fut avis qu'il se vint présenter devant lui un personnage ayant les cheveux tout blancs de vieillesse, avec une face et une présence vénérables, lequel s'approchant de lui prononça ces vers :

Une île il y a dedans la mer profonde

Tout vis-à-vis de l'Égypte féconde,

Qui par son nom Pharos est appelée."

Plutarque, La Vie des grands hommes, "Alexandre le Grand"

 

Le buste d'Alexandre le Grand sur le parvis de la Bibliotheca Alexandrina.

En 331 av. J.-C, alors qu'il était âgé de vingt-quatre ans, Alexandre fonda la ville éponyme (qui porte son nom), sur une côte sablonneuse, à l'emplacement du petit port pharaonique de Rhakôtis, déjà point d'escale fréquenté par des marins phéniciens. On raconte que le conquérant, sans descendre de son cheval, jeta son manteau sur le sable pour créer la forme d'une ville. La conception de cette cité nouvelle eut pour but de surpasser l'ancien comptoir commercial grec de Naucratis. Il était indispensable que le port fut situé sur la côte égyptienne, qu'il fut abrité par l'île de Pharos offrant une protection naturelle, et qu'il fut placé loin des dépôts d'alluvions déposés dans le delta du Nil.

Alexandre entreprit d'abord la conquête de l'île de Pharos, face au port de Rhakôtis, puis il fit construire par son architecte Dinocratès de Rhodes, sur le continent, une ville ceinte de remparts. La ville construite selon les principes d’urbanisme d'Hippodamos de Milet, semblable à celle du Pirée, possédait un réseau orthogonal de rues doublées de portiques, formant un quadrillage régulier. Elle comportait sept rues longitudinales et quinze rues transversales. Tout fut calculé pour que la ville fut exposée aux vents du nord de façon à ce qu'elle puisse rester ventilée en été et qu'elle puisse être protégée des tempêtes hivernales dans les axes transversaux. Par la suite, la ville fut divisée par quatre quartiers numérotés par les premières lettres de l'alphabet grec, système repris par les architectes modernes pour recenser les rues des villes américaines. Cette disposition se retrouve aujourd'hui sans peine avec l'ex-rue EI-Horreyya, rebaptisée Gamal Abd el-Nasser, grande rue transversale, ancienne voie canopique.

Reconstitution de la ville antique. Au premier plan, le célèbre phare.

Quelques mois plus tard, Alexandre, préoccupé par ses guerres contre les Perses, quitta l'Égypte précipitamment et se dirigea vers l'Orient pour atteindre les rives de l'Indus (Pakistan actuel), non sans fonder d'autres villes, toutes baptisées Alexandrie. Il ne revint plus jamais en Égypte.

Alexandre mourut à Babylone en 323 av. J.-C. Avant sa mort, il avait exprimé le désir d'être enterré dans l'oasis de Jupiter-Amon, à Siwa, où il avait consulté l'oracle. Cependant sa mère décida de l'ensevelir sur sa terre natale, en Macédoine. Après l'embaumement du corps, le cortège quitta Babylone et se dirigea vers le nord. Mais en raison de la popularité du conquérant à travers toute l'Égypte, Ptolémée Ier réussit à faire transporter la dépouille d'Alexandre jusqu'à Memphis où eut lieu l'inhumation. Le corps, placé dans un cercueil d'or, fut ensuite conduit en grande pompe à Alexandrie et mis dans un grand tombeau (sôma). Les derniers chercheurs à situer le tombeau sont Strabon, géographe grec mort en 21 de notre ère et Achille Tatius, évêque alexandrin, disparu bien plus tard, vers 400. Aujourd'hui, plane entièrement le mystère...

Alexandre disparu, les travaux de construction de la ville n'étaient guère avancés; Cléomène, son gouverneur, assura la continuité de l'œuvre du conquérant. Très rapidement, Alexandrie placée aux portes de l'Afrique et du Proche-Orient, se transforma en un important carrefour d'activité commerciale de l'Antiquité, prenant ainsi la place de la ville de Tyr (actuellement au Liban), détruite par Alexandre. En moins d'un siècle, Alexandrie, devenue plus grande que Carthage, fut considérée comme la "Cité idéale", la ville la plus brillante de la Méditerranée, après Rome, avec une population d'un demi-million d'habitants. Sous le règne des Ptolémées (305-30 av. J.-C.), et à partir du règne de Ptolémée Ier Sôter, la culture grecque brilla de tout son éclat pour s'exprimer au Musée (ou Académie).

Selon les textes sur papyrus, on construisit un théâtre donnant sur la mer, des temples, des palais de marbre entourés de jardins, on rendit un culte à Sérapis en un lieu consacré, le Sérapéum, agrandi par tous les successeurs. On rencontrera couramment dans les quartiers élégants de la ville des célébrités venues du monde entier : Euclide, Zenon, Plotin, Erasistrate, Hérophile, Antiphile, Lucien.

 

Une bibliothèque de Babel, à Alexandrie

Démétrios de Phalère, disciple de Théophraste, lui-même successeur d'Aristote, eut le mérite de constituer une Bibliothèque universelle basée sur le modèle du musée d'Athènes (Museion), ce fut une véritable Bibliothèque de Babel. Celle-ci, réunie administrativement au Musée, contenait plus d'un demi-million de documents inscrits sur papyrus. Elle devint la plus riche du monde ancien.

C'est en ce lieu que les plus grands esprits du temps se réunirent, que toutes les connaissances des "quatre coins de la terre" furent réunies et compilées. On instaura même un dépôt légal obligeant chaque visiteur entrant dans la ville à prêter ses livres afin de les recopier, avec l'obligation de les lui restituer. Strabon décrit des salles luxueuses bordées par un promenoir, une exèdre (petit monument en arc de cercle, muni de sièges) ainsi qu'une grande salle de réunion dans laquelle grammairiens, philologues, astronomes, physiciens, géographes, médecins, philosophes, poètes, musiciens, peintres se réunissaient régulièrement autour d'un repas pris en commun. Une fabrique de papyrus et un atelier de copiste permettaient aux enseignants de se procurer facilement les textes et de les divulguer.

L'un des plus importants poètes de l'école d'Alexandrie, Callimaque (310-240 av. J.-C.) devint "conservateur-bibliothécaire" sous Ptolémée III (146-221 av. J.-C). Il la divisa en sections : drames épiques, drames lyriques, histoire, poésie, rhétorique, philosophie, art oratoire... D'autres disciplines y furent étudiées comme la géographie, l'astronomie, la médecine et les mathématiques. Euclide y fonda une école de géométrie qui fit autorité pendant sept siècles; Archimède de Syracuse y pratiqua ses expériences de Physique; Hipparque y observa la suite régulière des équinoxes; Eratosthène de Cyrène calcula la circonférence terrestre et étudia les relations de la Terre avec les astres; Aristrate de Samos établit la distance de la Terre à la Lune; Hérophile pratiqua les premières dissections; Ptolémée établit une carte détaillée du monde. On peut remarquer, qu'en dehors des ouvrages grecs, les plus importants en nombre étaient ainsi les manuscrits égyptiens.

La bibliothèque, voisine de l'arsenal des navires, fut détruite par un incendie accidentel, à l'époque de César, en 48 avant notre ère. 500 000 ouvrages disparurent. Elle fut reconstituée et enrichie un siècle plus tard par Antoine puis pillée lors de troubles religieux au IVe siècle. Cependant grâce à la tradition arabe, le savoir de l'Antiquité fut transmis au Moyen Âge, puis plus tard, à la Renaissance, par les universités de Cordoue, de Fès ou de Baghdad qui le transmirent à leur tour aux savants de la Sorbonne, de Montpellier ou de Salamanque.

Aujourd'hui, une nouvelle Bibliotheca Alexandrina, située face à la mer, a été reconstruite en une architecture futuriste. Les travaux commencés en 1989, sous l'égide de l'Unesco, ont été achevés au nouveau millénaire. Elle est censée abriter huit millions d'ouvrages et cent mille manuscrits. Pourra-t-elle nous faire oublier l'ancienne?

Le cosmopolitisme d'Alexandrie

Dès son origine, Alexandrie fut une ville cosmopolite comme beaucoup de villes de la Méditerranée et toutes religions et croyances purent s'exprimer librement. Si les savoirs furent réunis, tous les plaisirs, plus ou moins autorisés, se pratiquèrent dans de nombreuses tavernes et lieux raffinés de prostitution de la ville de Canope (l'actuelle Aboukir), à l'est d'Alexandrie et reliée à cette dernière par un canal.

À l'Époque des Ptolémées, en dehors des Égyptiens, la ville comptait un grand nombre de Grecs, de juifs, d'Arabes, de Syriens, de Libyens, d'Éthiopiens, de Persans, d'Indiens... La société était divisée en trois grands groupes sociaux : les Grecs (riches commerçants, fonctionnaires, intellectuels), sujets lagides ou Hellènes, qui constituaient les vrais citoyens, une classe régnante et privilégiée jouissant du droit de cité. La communauté juive (boutiquiers, typographes, banquiers), deuxième groupe, installée en diaspora dans les faubourgs, fut presque autant privilégiée que les Grecs. Les juifs apportèrent un soutien à la dynastie helléno-égyptienne des Lagides, puis à celle des Ptolémées.

Ces derniers, en retour, favorisèrent leur influence culturelle. Ainsi, le philosophe Philon d'Alexandrie passa sa vie à expliquer la compatibilité entre la philosophie hébraïque et la pensée grecque; il fit traduire en grec la Septante, au Ier siècle de notre ère. Enfin, dernière classe sociale, les Égyptiens, autochtones, (artisans, ouvriers, petits paysans) qui ne jouissaient d'aucun droit et d'aucun privilège.

Le phare d'Alexandrie, l'une des Sept Merveilles du monde

C'est sous le règne de Ptolémée II Philadelphie, en 279 avant notre ère, que l'ingénieur-architecte Sostratos de Cnide construisit une "tour à feu" dans l'île de Pharos, au milieu d'une zone portuaire parsemée d'écueils. Elle devait guider les navigateurs pendant près de quinze siècles. Y est situé aujourd'hui le fort de Qaït Bey qui date du XVe siècle. La dédicace indiquait que le maître d'œuvre de cette tour lumineuse l'avait dédié "aux dieux sauveurs pour la sauvegarde des marins". Ce phare en marbre blanc, haut d'une centaine de mètres fut le premier prototype de tous les phares; il en fut le plus efficace car il éclairait jusqu'à une portée de soixante kilomètres. La décoration sculpturale était en marbre et en bronze.

Ancêtre du minaret islamique, il fut admiré comme "Merveille du monde" pendant plus d'un millénaire car : II faisait signe à l'imagination, et longtemps après que sa lumière se fût éteinte, le souvenir de son éclat brillait encore dans l'esprit des hommes (E.M.Forster -1923).

Reconstitution du phare d'Alexandrie.

Le phare était dressé au milieu d'une cour entourée de colonnes; il comportait trois étages. Le premier étage, d'environ 70 mètres de hauteur, était rectangulaire et possédait de nombreuses chambres qui servaient d'entrepôt, il se terminait par une plateforme décorée de tritons. Le deuxième étage, haut de plus de 30 mètres, était de forme octogonale; le troisième de forme cylindrique, d'une dizaine de mètres possédait une lanterne ou un foyer alimenté par un feu permanent, placés sous un dôme porté par huit colonnes. Au-dessus du dôme s'élevait une statue de bronze de sept mètres de hauteur, censée représenter Poséidon. Le phare fut entretenu ou restauré successivement par Cléopâtre, l'empereur Anastase Ier et Ibn Touloun vers 880 de notre ère. Trois séismes survenus au VIIIe siècle, au XIIe siècle, enfin au XIVe siècle, ainsi que les canons des Mamelouks vinrent à bout du prestigieux monument et le détruisirent. En 1480, le sultan mamelouk Qaït Bey (1468-1496) y construisit un ouvrage de défense côtière.

Statue de Ptolémée II érigée à l'origine à la porte du phare d'Alexandrie, récupérée des eaux et désormais devant la Bibliotheca Alexandrina.

Une hypothèse émise par Wilhelm Sieglin en 1892, selon laquelle le phare se situerait à cinq cents mètres à l'est de Qaït Bey, semble se confirmer car, selon les observations de l'archéologue sous-marin Franck Goddio, le phare aurait été placé à l'entrée d'un chenal naturel donnant accès au port et non à l'emplacement de dangereux récifs.

En dehors de lampes en terre cuite, d'une carafe en verre (trésor de Begram en Afghanistan) et de pièces de monnaies, le phare est représenté sur trois mosaïques : à Saint-Jean de Jerash (Jordanie), à Saint-Marc de Venise et à Qasr el-Libya (Cyrénaïque).

Cléopâtre, reine grecque d'Egypte

Cléopâtre VII (Altes Museum de Berlin).

C'est en 51 av. J.-C, à Alexandrie, qu'est couronnée Cléopâtre VII, de lignée macédonienne, dont les origines sont obscures car elle serait le fruit des amours de Ptolémée XII avec une concubine. À dix-huit ans, elle est mariée, selon la tradition, à l'un de ses frères. Elle parle le grec, l'égyptien, l'araméen, l'hébreu, l'arabe, l'éthiopien, le parthe et même un dialecte des peuples de la mer Rouge. Confrontée aux guerres civiles et aux jalousies de Rome, elle saura utiliser ses charmes auprès de Jules César, à peine débarqué en Égypte après l'assassinat de Pompée. C'est à ce moment, dans le palais d'Alexandrie, qu'elle se serait fait livrer à son nouveau maître, en tenue très légère, enroulée dans un tapis. Sa cause est entendue en une nuit car, six mois plus tard, elle remonte sur le trône. À l'emplacement actuel de la place Ramleh, Cléopâtre fera construire un temple, le Caesareum, temple du culte impérial, édifié en l'honneur de son amant. Deux obélisques, les "aiguilles de Cléopâtre" en ornaient l'entrée; ils se trouvent aujourd'hui à New York depuis 1877 et à Londres depuis 1880.

Après l'assassinat de César à Rome, en 44, elle rencontre Marc-Antoine à Tarse, en Cilicie, puis le séduit, menant avec lui "une vie inimitable", rêvant d'un Empire d'Orient dont Alexandrie serait le centre. Vaincue par les légions d'Octavien après la défaite d'Actium, elle se suicide le 12 août 30, rejoignant tragiquement dans la mort, son amant. Il semble que la piqûre mortelle provoquée volontairement par un aspic livré dans un panier de figues, comme la beauté mythique de la jeune reine, éternel féminin, relèvent de la légende et du romanesque.

Avec Cléopâtre VII, ultime descendante de la dynastie fondée à la mort d'Alexandre, s'achevait bien le règne des Ptolémées. La fascination des Européens pour Cléopâtre naquit de la traduction de Plutarque par Amyot (1559) ou de l'Antoine et Cléopâtre de Shakespeare (1606 ou 1607).

Un melting-pot de religions et de populations

Successeurs d'Alexandre, les Ptolémées étaient d'origine grecque. Ptolémée Ier Sôter (305-284 av. J.-C.), "le Mainteneur", général d'Alexandre, s'attribua la satrapie d'Égypte, créant ainsi une nouvelle dynastie. Sous leur règne, la ville prospéra économiquement. Les Ptolémées tentèrent d'imposer une religion bâtarde en important leurs divinités telles Zeus, Dionysos, Apollon, et en s'appuyant sur les prêtres égyptiens hellénisés. Un nouveau dieu régna, apparenté lointainement au taureau Apis. Il fut nommé Sérapis, assisté d'Isis, déesse mère et d'Harpocrate, dieu enfant. Pour les Égyptiens, Sérapis était Osar-Hâpy; pour les Grecs, la divinité était assimilée à Zeus. Isis, la déesse égyptienne devait être montrée en longue robe avec un noeud caractéristique sur la poitrine. Harpocrate, l'enfant Horus, était représenté portant une longue mèche, nu, avec un doigt dans la bouche. Préoccupés par la question religieuse d'un monothéisme, les Alexandrins s'interrogèrent sur le problème du divin et se tournèrent vers plusieurs courants de pensées issus de Grèce, de Rome et de Judée, avec entre autres le christianisme.

En 30 av. J.-C., l'Égypte devint province romaine; Alexandrie conserva son importance stratégique; le port resta le plus important de la Méditerranée grâce à ses relations économiques avec l'Asie. Vespasien fut proclamé empereur à Alexandrie en 69 de notre ère. Hadrien restaura la tombe de Pompée et fonda la ville d'Antinoë en 130. Marc-Aurèle s'y fit élire empereur en 175. Le déclin de la ville commença au IIIe siècle, sous Caracalla (211-217), et aboutit à son saccage par Dioclétien (284-305).

Dès l'an 40, le christianisme se propagea en Égypte grâce au Didascalée, une école de la foi chrétienne. Il semble que Marc l'évangéliste y ait lui-même prêché et ait répandu de là, la nouvelle religion en Égypte. Les sources littéraires décrivent les richesses de la ville en églises. Sur l'emplacement du Sérapéum, Justinien fit construire une église consacrée à saint Jean-Baptiste et un monastère. Plus tard, au cours de débats dogmatiques à l'intérieur de la chrétienté, Athanase d'Alexandrie triompha des grandes hérésies ("le fils de Dieu est identique au père"). Lorsque le christianisme devint religion d'État, les païens furent persécutés par l'empereur Théodose Ier. Celui-ci fit détruire par l'évêque Théophile tous les temples païens ou les fit transformer en églises, mais la ville tomba dans l'oubli.

Les Perses conquirent la ville en 616 et c'est en 641 qu'Amr ibn el-As, le général d'Omar, s'empara de la ville après un siège de quatorze mois; Alexandrie devint alors musulmane et prit le nom de Al-Iskandar, du nom d'Alexandre. En raison de la concurrence de Fostât, nouvelle capitale musulmane, et aussi du fait que Rosette et Damiette détenaient le monopole du commerce, le déclin d'Alexandrie se poursuivit. À la fin de la période byzantine, la ville connut une régression inexorable; épargnée par les Croisades, elle devint un gros bourg de cinq mille habitants.

Bien plus tard, Bonaparte débarqua près d'Alexandrie en 1798; l'amiral anglais Nelson y coula la flotte française non loin de là, à Aboukir en 1799. Vers 1820, Méhémet Ali voulut restaurer l'Égypte et l'ouvrir à l'Occident, il redéveloppa Alexandrie en l'équipant d'un port moderne et en lui procurant un accès direct au Nil par la construction du canal Mahmoudieh qui ceinture la ville au sud et à l'est. Son successeur, le khédive Ismaïl encouragea les travaux de construction, le port retrouva son activité, on fit construire de hauts immeubles en bordure du front de mer. En 1869, entrant définitivement dans les temps modernes, Alexandrie deviendra |e quatrième port méditerranéen après Istanbul, Marseille et Gênes.

Dans les années 1930, une population cosmopolite regroupant aussi bien Grecs, Arméniens, juifs de Turquie, d'Europe Centrale ou du Maghreb, Levantins, Italiens, Fran­çais, Anglais... constituée de propriétaires terriens, de petits artisans et commerçants et de gros producteurs de coton, tous organisés en communautés, fit d'Alexandrie un exemple de convivialité. La ville comptera 100 000 étrangers pour près de 600 000 habitants. Cette Alexandrie multiraciale, melting-pot de cultures héritées des Lumières fondées sur les valeurs d'une bourgeoisie progressiste (Georges Séferis), deviendra un lieu d'inspiration pour des écrivains aussi divers que Constantin Cavafy, Guiseppe Ungaretti, Lawrence Durell, Stratis Tsirkas, Naghib Mahfouz... Auparavant, Nerval y avait cherché "les souvenirs de l'Antiquité grecque" et Vivant Denon avait été frappé par cette "longue ville mélancolique".

Alexandrie contemporaine

Pendant la deuxième guerre mondiale, la ville sera une cible pour les troupes allemandes du maréchal Rommel, "le renard du désert"; une bataille décisive entre les troupes franco-britanniques et les troupes du IIIe Reich aura lieu à l'ouest de la ville, à EI-Alamein. Après la guerre, la ville connaîtra sa "Belle Époque", une époque de bonheur et d'art de vivre jusqu'à la révolution nassérienne des années 1950 et la crise de Suez. À ce moment, les minorités étrangères prendront le chemin de l'exil. Alexandrie ne sera plus qu'une ville balnéaire réservée à une petite bourgeoisie égyptienne.

Aujourd'hui, Alexandrie, chère à Dalida, à Omar Sharif ou à Claude François, ville où il fait bon s'attarder, a gardé dans certains quartiers l'aspect rétro des années 1950, elle est le miroir d'une mémoire. Le centre-ville connaît depuis quelques années un remodelage urbain assez anarchique qui consiste à faire disparaître en peu de temps théâtres, cinémas, garages, construits à la fin du XIXe siècle, afin de les remplacer par des tours d'habitations, des centres commerciaux ou des bureaux. Cela est regrettable. Mais, le plus grave, c'est que la partie antique est enfouie dans le sol depuis des siècles... Alors les "fouilles d'urgence" s'imposent; elles sont pratiquées en un temps record par le Centre d'études alexandrines dirigé par l'archéologue Jean-Yves Empereur.

On y a découvert des mosaïques hellénistiques, des ateliers romains et une Nécropolis dans le secteur de Gabbari, lors de la construction d'une autoroute menant au Caire. Une intervention sous-marine a permis, en 1994, de cartographier plus de 2500 blocs architecturaux antiques; parmi ces cubes énormes, des éléments pesant 75 tonnes pourraient appartenir au Phare. Un peu plus au large, une fouille d'épaves de bateaux grecs et romains s'annonce riche en renseignements sur le commerce d'Alexandrie avec la Méditerranée.

On le voit, au carrefour des routes commerciales entre l'Afrique, l'Asie et l'Europe, en un point d'importance stratégique en Méditerranée orientale, Alexandrie pourrait bien redevenir une capitale culturelle et un grand centre de fouilles archéologiques.

LA VISITE D'ALEXANDRIE

Le fort de Qaït Bey

La forteresse a été érigée au XVe siècle par le sultan Ashraf Qaït Bey avec les pierres du phare de l'île de Pharos. Il n'est pas évident que le fort soit situé à l'emplacement du phare. Tout autour du carré massif de la forteresse flanquée de tours rondes aux quatre angles, se déploie un mur protégé par des demi-tours. Cette forteresse est un bon exemple d'architecture civile islamique de l'époque médiévale.

Le fort abrite un petit musée naval avec un petit diaporama évoquant les expéditions pharaoniques au Liban; la copie d'un bas-relief du Ramesseum relatant une bataille contre "les peuples de la mer"; des souvenirs de la bataille d'Aboukir; des armes ottomanes...Du fort, jolie vue sur la corniche et sur le port de pêche.

Le fort de Qaït Bey
érigé au XVe siècle par le sultan Qaït Bey avec les pierres du phare de l'île de Pharos.

 

Le théâtre romain de Kôm ed-Dikka

Le théâtre romain de Kôm ed-Dikka contient environ 800 places. Daté de la fin du IIe siècle, il a sans doute été transformé en amphithéâtre et réaménagé trois siècles plus tard à des fins religieuses. Une mission archéologique de l'Université de Varsovie découvrit en 1964 ce petit théâtre  (fut-il  un odéon ?)  avec douze gradins de marbre en demi-cercle, à la suite de la démolition des restes d'un fort napoléonien. C'est ici pratiquement le seul exemple de théâtre romain en Égypte. Les fouilles continuent.

Le théâtre romain de Kôm ed-Dikka.

On peut rappeler que le théâtre fut l'un des principaux divertissements d'Alexandrie et que de nombreux textes marquent l'importance des troupes d'acteurs dans la cité tandis que les arts plastiques offrent de précis renseignements sur la vie théâtrale. Dionysos d'ailleurs, occupe une place importante dans le panthéon alexandrin. De plus, le Musée gréco-romain présente de nombreuses compositions en terre cuite représentant des acteurs au masque stylisé.

Le Musée gréco-romain

La visite du Musée gréco-romain d'Alexandrie complète bien celle des trois  grands musées du Caire. Le musée a été fondé en 1892 par l'archéologue italien Botti. Y sont rassemblées environ 4 000 pièces "alexandrines", (sur 40 000 en réserve), recouvrant une période de près de six siècles, entre 300 av. J.-C. et 300 apr. J.-C. Les fouilles proviennent de monuments, de catacombes, de nécropoles de la ville ainsi que de ses environs (delta, Fayoum, Moyenne Égypte).

Tête de méduse (Gorgonne).
Mosaïque polychrome qui ornait le sol d'un triclinium (salle à manger) d'une riche demeure d'époque impériale.

La colonne Pompée

La colonne Pompée.

La  colonne Pompée, appelée aussi Amoud el-Saouari (la colonne de Piliers), fut construite pour Dioclétien (284-305) après sa victoire remportée sur Achillée, en 296. La colonne est située au sud-ouest de la ville moderne et marque l'emplacement de l'ancien Sérapéum, temple d'une telle beauté qu'il pouvait rivaliser avec le Capitole de Rome. Cette attribution à Pompée, erronée, s'est répandue à l'époque des premiers Croisés du IVe siècle ; ceux-ci croyaient que les cendres de Pompée étaient placées à cet endroit dans une urne, au sommet de la colonne.

C'est  Ptolémée Ier (305-284   av. J.-C.) qui introduisit à Alexandrie le culte de Sérapis, divinité syncrétique qui associa les dieux Osiris et Apis à Zeus, Dionysos et Asclépios. C'est pour Sérapis que fut construit le Sérapéum dont la renommée s'étendait au delà de la ville, dans l'Antiquité. Le temple dressé sur une plate-forme s'élevait à la périphérie de la ville sur une éminence; un escalier de cent marches y conduisait. Des cours ouvertes entouraient le temple. La statue de Sérapis sculptée par Bryaxis représentait le dieu assis sur un trône, vêtu d'un long vêtement. Sa tête bouclée et barbue portait comme coiffure, un calathos (une sorte de vase). De la main gauche, il tenait un long sceptre; sa main droite était posée sur le chien des enfers à triple tête, nommé Cerbère, étendu a ses pieds. De même qu'au temple de Ramsès II à Abou Simbel, l'architecte avait construit le temple de telle sorte que les rayons du soleil du matin atteignent le sanctuaire lors des solstices, ici le soleil atteignait les lèvres de la statue de Sérapis et les illuminait.

Le dieu Sérapis (musée gréco-romain d'Alexandrie).

De ce sanctuaire de Sérapis, daté de l'Époque ptolémaïque, détruit d'abord à la fin du règne de Trajan (98-117) au premier siècle de notre ère puis en 391 par l'évêque Théophile sur l'ordre de Théodose Ier (408-450), il ne reste rien à l'exception de la haute colonne en granit rouge poli d'Assouan. Elle va en se rétrécissant du bas vers le haut (diamètre environ 2,70 m et 2,30); hauteur 27 mètres, y compris le chapiteau corinthien. On suppose que cette colonne fut érigée en 302 en  l'honneur de l'empereur Dioclétien. Ce dernier, après le siège de la ville, et après l'avoir épargnée, avait distribué du pain à la population affamée. Sur le côté ouest de la base de la colonne, on lit l'inscription suivante :

À l'empereur très juste, dieu tutélaire d'Alexandrie, Dioclétien l'invincible. Posthumus préfet d'Égypte a érigé ce monument.

On a également retrouvé d'autres inscriptions avec les cartouches de Séthi Ier (XIXe dynastie) et avec le nom d'Arsinoé.

D'autres vestiges proviennent de la bibliothèque qui était voisine du Sérapéum (distincte de la grande bibliothèque impériale) : on admirera deux sphinx de granit rosé placés devant la colonne (découverts en 1906), un sphinx d'Horemheb acéphale, une statue assise de Ramsès II également sans tête, un scarabée de granit rosé d'Assouan tourné vers le nord et plusieurs fûts de colonnes en granit. Ces pièces proviennent d'Héliopolis. On remarquera également un bassin antique au nord de la colonne. À l'ouest de la colonne, on peut descendre dans des souterrains avec de longues galeries; elles servaient soit de cimetière d'animaux sacrés ou d'étagères aux rouleaux d'une bibliothèque.

Les catacombes de Kom ash-Shuqqafa

Non loin de la colonne de Pompée, on croise la rue EI-Nasriya puis on remonte la rue Bab-el-Moulouk, on parvient dans un quartier populaire avec des petits marchés, sur le chemin de la "colline des Tessons" ou Kom ash-Shuqqafa. Ces catacombes datées des premier et second siècles de notre ère, sont les sépultures romaines les plus importantes en Égypte ; elles ont découvertes en 1892 à la suite de la chute d'un âne qui traînait une carriole et fouillées huit ans plus tard. En parcourant ces trois étages souterrains, superposés, taillés dans le roc et reliés entre eux par des escaliers, on perçoit cette iconographie hybride pratiquée à Alexandrie, qui mêla sans difficulté les styles égyptien et gréco-romain.

Source : Le guide des civilisations égyptiennes, des pharaons à l'islam  (éditions Marcus)

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