Le Caire dans les années 1900

 

La ville du Caire a été le théâtre d'un développement étonnant entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, prenant alors des allures de ville européenne. D'environ mille hectares construits vers 1900, la surface construite passait déjà à 16300 hectares  vers 1920. Vers 1900, elle comptait environ un million d'habitants (depuis, son développement démographique est exponentiel : elle compte aujourd'hui plus de 16 millions d'habitants...).

Au début des années 1900, l'Égypte est depuis 1882 sous la domination de la Grande-Bretagne.

Vue générale du Caire en 1914.

 

Panorama du Caire en 1905

 

Mais revenons un peu en arrière sur l'histoire de la ville.

La ville médiévale - la cité aux mille minarets

Le Caire doit une partie de sa fondation au calife fatimide Al-Mouizz (953-975). En 969, il posa la première pierre de la nouvelle capitale. La planète Mars (en arabe Al-Qahir, "La Victorieuse", en français "Le Caire") était placée en ascendant au moment des travaux, aussi appela-t-on la nouvelle fondation Al-Qahira, destinée à rivaliser de prestige avec Bagdad, en Iraq, la ville des Abbassides.

La dynastie ayyoubide (1171-1250), fondée par Saladin, marqua la ville de belles constructions de pierre et la ville fut entourée de puissantes murailles.

 

La Citadelle et la mosquée Méhémet Ali.

 

La mosquée Mahmoud Pacha dans la citadelle.

La Citadelle, architecture défensive qui domine la ville, fut jadis l'une des plus puissantes forteresses du monde. Elle fut construite en 1176 sur l'ordre de Salah el-Dîn (Saladin) pour se protéger des Croisés qu'il vainquit, comme en témoigne une inscription de la porte principale. Avec ses hautes murailles et ses tours crénelées, elle est inspirée par l'architecture des Croisés en Syrie. Le gros appareil de défense proviendrait de blocs arrachés aux petites pyramides de Gizeh.

La mosquée de Méhémet Ali, de style ottoman, aux deux fins minarets qu'on peut voir de loin, est devenue l'emblème du Caire.

La place Sala el-Dîn au pied de la citadelle : la mosquée du sultan Hassan, avant la construction (en 1869) de sa voisine la mosquée El-Rifaï.

 

   

La chute de la dynastie  ayyoubide fut provoquée par les Mamelouks (1250-1517). C'est aux Mamelouks que la capitale doit un grand nombre de mosquées ainsi que les superbes et originales "villes des morts".

- La Cité des Morts ou "Tombeaux des Mamelouks"

Au-delà de la citadelle, formant une sorte de frontière, un lieu de passage, s’étale la Cité des morts. Les nécropoles du Caire sont immenses. Elles s’étalent sur une dizaine de kilomètres.

Les "Tombeaux des Mamelouks", appelées à tort "Tombeaux des Califes", sont les mosquées funéraires des grands souverains égyptiens du Moyen Âge arabe. C'est ici que les Mamelouks circassiens et arabes ont presque tous été inhumés.

 

 

 

 

La rue El Saida Zenab et la mosquée Keit (Qaït) Bey.

Parmi les tombeaux des Mamelouks, le mausolée de Quaït Bey, que le sultan lui-même fit ériger de 1472 à 1474, apparaît comme le meilleur exemple de l'architecture circassienne islamique du XXVe siècle.

Une cohabitation entre les vivants et les morts

Entre les deux guerres, l'exode rural et une forte natalité font doubler la population urbaine qui passera d'un million d'habitants à près de trois millions. Une partie de la population dénuée de ressources, évaluée à près d'un million, s'installe alors dans la Cité des Morts. Ici, se côtoient toujours morts et vivants dans un univers qui semble détaché du reste de la ville, dans l’espace et dans le temps. Revient cet inévitable rapprochement avec la prééminence du culte des morts dans l’Égypte Pharaonique...

 

L'occupation ottomane

La victoire en 1517 du sultan ottoman Sélim Ier sur la ville marqua le début de trois siècles de léthargie : Le Caire devint la capitale d'une province de l'Empire turc-ottoman (1517-1798).

Vers une Égypte modernisée

En 1798, Napoléon, sans doute impressionné par l'odyssée d'Alexandre le Grand, débarque en Egypte afin de libérer le pays de l'administration médiévale turque, faire connaître le passé prestigieux du pays et empêcher  l'Angleterre de développer son commerce avec les Indes. Il remporte le 21 juillet la bataille dite "des Pyramides". L'intermède français ne dura que trois ans. A la suite de défaites et sous les pressions du Grand Vizir d'Égypte, la garnison française se retire en septembre 1801.

Le Caire sera administré avec stabilité lorsque Méhémet Ali (Mohamed Ali) , chef de la troupe albanaise de l’armée turque en Egypte, sera reconnu Pacha d'Egypte pendant quatorze ans (1805-1849). Méhémet Ali apparaît comme le fondateur de l'Egypte moderne. Entre 1800 et 1860, Le Caire ne change guère ; Méhémet Ali, homme d'État entreprenant et novateur dans beaucoup d'autres domaines, montre bien peu d'intérêt pour sa capitale.

 

La ville européenne

C'est seulement à partir de 1867 que les transformations vont s'accélérer. L'image du Caire moderne commence à se forger grâce à l'audace du khédive Ismaïl Pacha, petit-fils de Méhémet Ali, épris de culture française. Dès le début de son règne le Khédive manifeste son goût pour le progrès technique et l'urbanisme et apporte des innovations : en 1865 une compagnie est chargée de l'adduction des eaux, 1867 voit le début de l'éclairage urbain. Son séjour à Paris, au moment de l'exposition universelle de 1867, lui permet de découvrir "l'haussmannisme triomphant." de la capitale française. Il veut donner à l'inauguration du canal de Suez, un retentissement mondial et décide de transformer sa propre capitale.

Le court délai qu'il s'impose (moins de deux ans) lui interdit de remodeler la ville ancienne. Il pouvait, par contre, plaquer à sa limite occidentale, entre la ville elle-même et les bords du Nil, une façade susceptible d'impressionner ses visiteurs européens. Ainsi se trouvent définis le caractère et les limites de l'opération d'urbanisme. L'aménagement porte sur 250 hectares : tout un réseau de nouvelles rues reliant entre elles une douzaine de places est tracé. Une gare est construite, un pont jeté sur le Nil, quelques centaines d'immeubles sortent de terre, un opéra inauguré etc... Il sera pour Le Caire ce que fut le baron Haussmann pour Paris.

Ce sont désormais deux villes juxtaposées qui forment Le Caire :

A partir de cette date, "Le Caire est comme un vase fêlé dont les deux parties ne pourront plus se ressouder" écrit Jacques Berque (Orientaliste français (1910-1995), professeur au Collège de France, l'un des grands traducteurs du Coran).

Plan du Caire

Ainsi, l’ordonnancement architectural du petit fragment du cœur de la ville, composé des quartiers de Tahrir, Bab el-Louq, Talaat Harb (ou Soliman Pacha), Emmad ed-Dine, nous paraît assez facilement lisible, voire familier : c’est le vocabulaire architectural haussmannien que parlent ces édifices, à quelques nuances près : des bâtisses plus titanesques, des éléments décoratifs plus outrés, des combinaisons plus syncrétiques que néoclassiques - l’architecte des plus beaux ou des plus baroques de ces édifices, Behler, était suisse - et peu prisé en Europe... On n’est d’évidence pas à Paris, mais dans un décalage des mêmes thèmes urbains, dont la légère étrangeté n’est pas dépourvue de charme.

La rue Boulak (Boulaq).

 

La rue el-Manakh.

 

La rue Kasr el-Nil.

 

 

Ibrahim Pacha, fils de Méhémet Ali, n'occupa  le trône que durant 7 mois entre 1947 et sa mort prématurée en novembre 1948, mais il fut auparavant un valeureux commandant de l'armée égyptienne, assurant notamment la conquête de la Palestine et de la Syrie (mais les pays européens l’ont contraint à se retirer de toutes les terres qu’il avait conquises).

L'inauguration du canal de Suez le 18 novembre 1869 est un prétexte à l'inauguration d'un nouvel Opéra Khédivial sur la place de l'Opéra ; il fut malheureusement entièrement détruit par un incendie en octobre 1971.

A cette occasion également, lors de la visite officielle de l'impératrice Eugénie, on construit des hôtels luxueux comme le Sémiramis ou le Mariott ainsi qu'une grande voie menant directement aux Pyramides et à l'hôtel Mena House.

L'Hôtel Sémiramis.

 

 

Le fameux Hôtel Mena House :  hier...

 

... et aujourd'hui.

L'Hôtel Mena House, situé à proximité des Pyramides, est un ancien pavillon aménagé par le khédive Ismaïl Pacha pour accueillir l'impératrice Eugénie lors des cérémonies de l'inauguration du Canal de Suez. En 1880, il a été racheté par un couple d'Anglais qui l'a transformé en hôtel de luxe et lui a donné le nom de Mena, le premier des 76 pharaons égyptiens figurant dans les célèbres Tables d'Abydos; toutes les célébrités du monde entier y ont séjourné depuis.

 

La gare construite pour l'inauguration du canal de Suez (vues prises en 1904,...

 

...en 1907...

 

...et aujourd'hui.

 

La place (midan) Soliman Pacha.

A cette époque, la place Soliman Pacha portait le nom du généralissime de l'armée égyptienne (à l'origine du nom Joseph Sève, canonnier de la marine et hussard de l'Empire - voir son histoire sur le site http://www.histoire-empire.org/persos/seve/seve.htm ; elle porte aujourd'hui le nom de place Talaat Harb, du nom du fondateur de la Banque d'Egypte, la Banque Misr.

L'essor de la ville coloniale (1882-1950)

Profitant d'une insurrection nationaliste et des difficultés financières d'Ismaïl, les Anglais s'installent en Égypte en 1882. Le développement du Caire traduit les changements apportés dans le pays. L'Égypte est maintenant totalement indépendante de la Sublime Porte. Elle devient le centre de l'administration coloniale, le siège de grandes administrations étrangères. Le Caire ajoute ainsi toute une gamme de fonctions nouvelles au prestige que la capitale tire de son rôle culturel et religieux. La ville se transforme profondément.

L'Hôtel d'Angleterre et la rue El Magrabah.

 

La rue Kamel Ibrahim Pacha bordée de grands hôtels, tel l'Hôtel Shepheard (à gauche).

 

 

L'Hôtel Shepheard

L'Hôtel Shepheard, sur le jardin de l'Ezbekieh, a été construit en 1843, à l'emplacement du palais d'al-Alfi. Les riches anglais, qui voyagent avec la Compagnie Péninsulaire et Orientale pour se rendre aux Indes, descendent au Shepheard avant de traverser le désert de Suez et de rembarquer sur les vapeurs de la Mer Rouge. En octobre 1869, Théophile Gautier, convié à l'inauguration du canal de Suez, au titre de correspondant de presse, réside plusieurs jours dans cet hôtel avec les hôtes du Khédive Ismaïl.

Pendant l'entre-deux guerres, le Shepheard devient un hôtel mythique en Europe. Agatha Christie en est folle et y plante le décor de Mort sur le Nil.

En janvier 1952, c'est la révolution au Caire. Le Shepheard, considéré comme un bastion du colonialisme européen, est incendié.

On le reconstruit quelques années plus tard mais Nasser prive l'hôtel de son accès réservé au Nil. Aujourd'hui, le fleuve et l'hôtel sont séparés par une voie rapide qu'il vaut mieux ne pas traverser. La façade des années cinquante est d'une désespérante banalité mais le charme de l'hôtel saisit le visiteur dès la porte franchie. On pénètre dans un univers de roman anglais.

L'Ambassade de France

L'Ambassade de France en 1916.

En 1884, le ministère des Affaires étrangères loue, puis achète en décembre 1886, un hôtel particulier de style mauresque, construit quelques années auparavant par le Baron Charles Gaston de Saint-Maurice et situé dans le quartier Ismaïlia. Malheureusement, au cours des années, le bâtiment se dégrada et devint inhabitable.

En 1936, il fallut trouver une autre résidence. Le choix se porta sur une villa construite en 1924 sur un terrain situé entre les bords du Nil et la route des Pyramides, à Guiza. Depuis 1936, elle est la résidence de l’Ambassadeur de France. Son adresse actuelle est : 29, avenue Charles de Gaulle - Guiza, Le Caire. Le site de l'ambassade de France au Caire

 

La Bibliothèque Khédiviale.

Dans le quartier de Bab El-Khalq, en bordure de la rue du Khalig El-Masri, ce canal qui avait été comblé, fut construit en 1902 le nouveau Musée d'Art Islamique. Le bâtiment de style néo-arabe abritait également la Bibliothèque Khédiviale.

 

 

L'Université Al-Azhar en 1870 (photo Bonfils).

La nouvelle Université du Caire fut créée en 1908. Depuis très longtemps, existait déjà la prestigieuse Université Al-Azhar, l'une des plus vieilles universités du monde, fondée en 970, et spécialisée dans le droit et la jurisprudence islamiques.

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