ABOU SIMBEL

"Le grand temple d’Ibsamboul  vaut à lui seul le voyage de Nubie."

"Je vous plains aussi de n’avoir pas admiré Ibsamboul : c’est une boutade du grand Sésostris. Il a changé une montagne en palais, dont la porte est flanquée de quatre magnifiques colosses assis, n’ayant pas moins de soixante-deux pieds de hauteur."

Champollion

Panorama d'Abou Simbel : à gauche, le temple de Ramsès II, à droite le temple de la reine Néfertari.

Les temples d’Abou Simbel sont situés à 280 km au sud d’Assouan, à une journée de navigation de Qasr Ibrim. Ces temples rupestres, qu’on appelait jadis Ibsamboul, sont l’aboutissement d’une quête qui conduit le voyageur de la Méditerranée aux porte du Soudan, comme le fut certainement une quête religieuse pour les pharaons, à une autre époque.
Ramsès II (1279-1212 av. J.-C), dans les années 26 à 34 de son règne, se fit construire, tout près de la rive du fleuve, ces sanctuaires "pour l'éternité".

"L'acte par lequel l'homme arrache quelque chose à la mort"

André Malraux, ministre de la culture,
à l'occasion du lancement de la campagne internationale de sauvetage des temples de Nubie, prélude à la consécration de la notion de patrimoine mondial.- Mai 1960

Pour la première fois, toutes les nations - au temps même où beaucoup d'entre elles poursuivent une guerre secrète ou proclamée - sont appelées à sauver ensemble les œuvres d'une civilisation qui n'appartient à aucune d'elles, une importante action de sauvetage internationale pour protéger ces fondations pharaoniques des eaux montantes du lac de retenue du barrage Nasser. Plusieurs projets avaient été proposés : protéger le site par un immense barrage, surélever les deux temples par des vérins, finalement c'est le démontage par blocs qui fut retenu.

Il fallut dans un premier temps protéger le site d'Abou Simbel par un rideau de palplanches de 370 mètres de long et installer dans cette cuvette, des stations de pompage pour lutter contre les infiltrations d'eau.

On protégea les façades des chutes de pierre causées par le dégagement du som­met en ensablant les parois exté­rieures et en réservant des entrées.

Le grès étant malade, on le renforça en injectant de la résine époxy. Avant de découper la montagne au-dessus du temple, et en prenant soin qu'il n'y ait aucun dommage pour celui-ci, on découpa la façade en blocs de dix à vingt tonnes. Pour protéger la pierre, on utilisa des scies d'acier très fin puis on renforça les surfaces découpées par des protections de nylon. À l'intérieur, les parois et les plafonds des temples furent protégés par des coffrages.

Acheminés sur des camions, 1042 blocs posés soigneusement sur un lit de sable, furent déposés sur une aire de stockage, à l'air libre, au sommet de la montagne.

On reconstitua ensuite l'architecture interne des temples, un volume de 100 000 m3 pour le grand temple et 26 500 m3 pour le petit temple. On entoura les façades de leur ancien environnement naturel. Pour éviter que le poids de la montagne ne surchargeât les plafonds, on coula des voûtes en ciment au-dessus de chacun des temples.

C'est ainsi que de nos jours, les monuments se trouvent à 180 mètres en retrait par rapport à leur emplacement primitif et qu'ils ont, en même temps, été surélevés de 64 mètres.

On peut visiter l'étonnante coupole de béton de 25 mètres de hauteur, 45 mètres de largeur et 60 mètres de portée.

Ce travail titanesque nécessita la présence de 3000 personnes qui vécurent ici, isolées, à 380 km de toute agglomération pendant quatre ans et demi.

Le nouveau site fut inauguré le 22 septembre 1968 avec vingt mois d'avance sur le calendrier des travaux.

   

Pourquoi Abou Simbel ?

On peut se demander pourquoi plus d'une trentaine de sanctuaires ont été édifiés sur 400 kilomètres, le long de rives désertiques, loin des résidences royales du delta ou de la capitale prestigieuse de Thèbes.

En Nubie, on s'en doute, les temples ne sont pas construits pour les riverains, ou s'ils le sont, c'est pour leur inspirer le respect, la crainte du pouvoir central. En réalité, les temples sont érigés pour l'entretien exclusif de la « Machine divine ». Ramsès II consacrera dans ce pays de Wawat, sept fondations religieuses : Beit el-Wali, Gerf Hus­sein, Wadi es-Seboua, Derr, les deux temples d'Abou Simbel et Aqsha. La plupart de ces temples appelés hémi-spéos, comportent une partie creusée dans le rocher et une autre édifiée en plein air. Seuls les sanctuaires d'Abou Simbel sont véritablement aménagés en grottes profondes et Pharaon avait dans ce but choisi deux mamelons rocheux avançant légèrement sur le Nil, l’un vers l’autre, suivant une orientation particulière : leur axe se rencontrait dans le fleuve. À l’évidence, leur extrême originalité ne réside pas uniquement dans leur indéniable beauté mais aussi dans leur message, lié à leur type - un speos intégral - à leur jumelage et à l’emplacement spécialement sélectionné pour leur implantation.

On peut voir plusieurs raisons à ces constructions, outre le symbole religieux : en plus d'une démonstration patente de piété et du désir royal de se glorifier pour l'éternité, on peut dire que les constructions d'Abou Simbel avaient indirectement un but politique et économique. Les temples divins devaient témoigner de la puissance de l'Égypte en Nubie, porte ouverte sur l'Afrique intérieure d'où venaient tant de produits divers d'une importance primordiale pour l'économie du pays et en même temps, pour la vie luxueuse des classes supérieures. C'est en Nubie que se trouvaient les principales mines d'or de l'Égypte et les plus productives (quartz aurifère dans le Wadi el-Alaki); de plus, la région était un trait d'union vers le sud et le pays de Pount, en dehors de la route purement maritime.

Le grand temple d'Abou Simbel

Le grand temple d'Abou Simbel, orienté vers l'ouest, est dédié au grand dieu d'Empire Amon-Rê et au dieu soleil Rê-Horakhty, ainsi qu'aux principales divinités du pays.

 

La façade du temple

L'extérieur du sanctuaire, précédé d'une sorte d'avant-cour, puis d'une terrasse, domine le fleuve. Il est entièrement consacré à Ramsès. La façade du temple, avec ses 33 mètres de hauteur et 38 mètres de large, est plus qu'imposante.

Quatre statues colossales, placées sur une terrasse, hautes de 20 mètres représentent le pharaon Ramsès II, assis sur un trône.

Quelques dimensions : front, 0,59 m; nez, 0,98 m; oreille, 1,06 m; bouche, 1,10 m; largeur du visage d'une oreille à l'autre, 4,17 m.

La façade est tournée vers l'est et les statues regardent en direction du soleil levant.

Ces majestueux colosses portent sur la tête la double couronne (pschent), le voile royal (nemès) et l'uraeus (cobra prêt à frapper, symbole de la puissance brûlante du soleil et de la force royale). La barbe postiche et le pagne à devanteau, complètent le costume du roi. Le nom de Ramsès II apparaît plusieurs fois : sur la poitrine, le bras et entre les jambes. La forme typique du nez des statues rappelle celle du nez de la momie du pharaon entreposée au Musée du Caire. L'artiste a travaillé d'une manière réaliste; il a par ailleurs accordé sa préférence à la sensibilité et au calme qui se dégage des lignes des lèvres, des joues et des yeux, donnant au pharaon une jeunesse éternelle.

On peut voir à côté des jambes du pharaon, de petites statues, ainsi qu'entre les jambes de celles-ci, des représentations en ronde-bosse des membres les plus importants de sa famille. Comme Ramsès, toutes ces statues incarnent la jeunesse. Pour la première fois, un pharaon se fait représenter avec femmes et enfants constituant l'immédiate famille royale; cependant le père du roi, Séthi Ier, n'est pas présent. Sont présentées : l'épouse royale Néfertari, la mère Touy représentée deux fois, les deux fils aînés puis les filles aînées que ses deux Grandes Épouses lui ont donnés. On a relaté que Ramsès II aurait eu de ses différentes femmes et concubines, près de deux cents enfants, cela semble exagéré.

Iconographie des petites statues : on identifiera, face à la façade, à gauche de l'entrée et de gauche à droite : Nebettaouy (fille de Ramsès), Isis Nofret (seconde épouse), Bent Anat (fille aînée d'Isis Nofret), Mout-Touy (mère de Ramsès), Amon-her-Khepechef (fils aîné de Néfertari) et Néfertari (principale épouse).

À droite de l'entrée et de gauche à droite : Néfertari (principale épouse), le prince Ramsès (fils d'Isis Nofret), Baket-Mout (fille de Néfer­tari), Méritamon (fille aînée de Néfertari), Néfertari II (fille préférée de Néfertari) et Mout-Touy (mère de Ramsès).

Le colosse situé juste à gauche de l'entrée s'est effondré, peut être en raison d'un séisme qui, selon certains, se serait produit du vivant de Ramsès. Sa partie supérieure gît à terre, au pied de la terrasse, mais en s'écroulant, elle a pulvérisé toutes les statues qui étaient placées à ses pieds. Les nombreux graffiti apposés sur les jambes des colosses sont dus aux soldats grecs venus en Égypte de l'Époque saïte, ainsi qu'aux mercenaires venus d'autres contrées d'Orient. Par la suite s'y sont ajoutés les graffiti de divers voyageurs venus de toute part.

Au nord, comme au sud de la façade, deux chapelles ont été aménagées ; celle du nord est à l'air libre ; on y avait placé quatre petits obélisques ainsi qu'un autel avec des statues de babouins en adoration (à présent au Musée égyptien du Caire). Cette chapelle était consacrée à Rê-Horakhty à qui le temple était dédié. La chapelle sud a été construite comme un spéos dans la falaise et était consacrée à Amon, « le caché », dont la présence est ici affirmée.

À gauche des pieds du colosse de Ramsès, le mieux conservé de la moitié sud, on verra la stèle dite "du mariage", commémorant l'union de Ramsès II avec la fille aînée du souverain hittite Hattousil (XIIe siècle av. J.-C.) en l'an 34 de son règne. On peut voir sur cette stèle, Ramsès accueillant, entre Ptah et Amon-Rê, sa nouvelle épouse qu'accompagne son père, le roi Hattousil. Un texte prolixe y raconte les circonstances (traité de paix) qui présidèrent à cet événement.

Au pied du premier colosse nord, un bas-relief montre des prisonniers et des peuples vaincus d'Asie et des pays du nord (peuples sémite et hittite). Un genou à terre, les captifs sont attachés par le lien floral qui symbolise l'Égypte. Parallèlement à ceux-ci, du côté sud, une autre frise montre des prisonniers venant des pays du sud.

Au-dessus de la porte d'entrée, haute et étroite, on voit, au milieu de la façade, une niche avec l'image de Ramsès-Soleil, torse nu, semblant surgir de la niche, comme une apparition. Sa tête de faucon est dominée par le globe de Rê, disque solaire. Le dieu tient dans la main gauche un sceptre à tête de chien-Ouser; de l'autre, il s'appuie sur l'image accroupie de Maât représentant l'équilibre cos­mique. Ces deux figurations, jointes au disque solaire Rê, forment un jeu d'écriture, même rébus qui constitue le nom de Ramsès, Ouser-Maât-Rê, "puissante est l'énergie du Soleil". Le pharaon apparaît ici comme la figure centrale du temple, en quelque sorte sa divinité principale.

Ramsès-soleil.

Cette divinisation de la personne royale est également évidente sur des reliefs voisins où l'on voit à nouveau le roi offrir au dieu-soleil une figure de Maât, symbole dé Vérité et de Justice. À l'intérieur, et au-dessous de la gorge de la corniche, apparaissent, en une frise ininterrompue, cartouches royaux et figurations divines : Rê-Horakhty (à droite) et Amon-Rê (à gauche), ainsi que des textes de dédicaces mentionnant ces deux dieux, disposés symétriquement de part et d'autre de l'axe central.

Tout en haut de la façade, une corniche sculptée dans la montagne représente vingt-trois babouins (il en manque une partie) levant les mains en signe d'adoration vers le soleil levant qu'ils saluent. Cette façade particulière de temple remplace le pylône des temples classiques dont elle emprunte la forme trapézoïdale.

Les reliefs des trônes où sont assis les colosses qui encadrent l'entrée représentent les "dieux du Nil" réunissant symboliquement les deux plantes héraldiques de la Haute et de la Basse Égypte. On y voit également des Africains et des Asiatiques, encordés les uns aux autres, humiliés face à la puissance de l'Égypte et de son roi. Les visages de ces personnages sont traités d'une manière réaliste.

L’intérieur du temple

 

L'intérieur de ce temple rupestre, comme pour une grotte sacrée, est entièrement taillé et excavé dans la masse de la falaise. La profondeur du temple est d'environ 55 m. Le plan classique obéit à une presque parfaite symétrie et fait apparaître les éléments suivants : une première salle avec huit piliers osiriaques, une deuxième salle à piliers, une salle transversale munie de niches et enfin le sanctuaire.

La première salle à  piliers, taillée dans le rocher, correspond à la cour des sanctuaires jubilaires avec piliers osiriaques taillés dans la masse. Cette salle mesure envi­ron 16 mètres dans sa largeur et 18 mètres dans sa longueur; son sol va en s'élevant légèrement. Deux rangées comportant des piliers osiriaques hauts de neuf mètres flanquent l'axe central. Les statues représentent le roi Ramsès II, torse et jambes nues, vêtu du pagne, bras croisés, tenant le sceptre et le fléau dans les mains et coiffé à gauche (au sud) de la couronne blanche de Haute Égypte et à droite (au nord) de la double couronne. La salle contient des reliefs d'une grande qualité consacrés surtout à des thèmes guerriers où prédomine le récit de la bataille de Qadesh.

Iconographie des reliefs en partant de la gauche (sud) et en allant dans le sens des aiguilles d'une montre :

Défilé des huit premiers princes royaux : Amon-her-Khepechef, Ramsès, Parêhe-rounemef, Khaemouaset, Montou-her-Khepechef, Nebenkha-rou, Méry-Amon et Sethemouia.

En parallèle, sont représentées les neuf premières princesses : Bent-Anat, Baket-Mout, Néfertari II, Méritamon, Nebettaouy, Isis Nofret II, Hénouttaouy, Ourniro, Nedjemmour.

Les murs sont sculptés des exploits du pharaon, dans son rôle de Protecteur du Pays. Ainsi Ramsès abat les ennemis " asiatiques" devant Amon ; le roi (cinq fois) est placé devant des divinités; des scènes relatent une campagne syrienne; Ramsès conduit son char et fonce en direction d'une forteresse ennemie; il perce un ennemi de sa lance; il rentre triomphalement et défile avec des prisonniers entravés venus du pays de Kouch.

Au sommet du mur sud, Ramsès a fait représenter une scène rituelle de la couronne montrant Thot inscrivant sur les fruits de l'arbre ished les noms du pharaon agenouillé devant Amon.
À l'angle sud-ouest du mur, Ramsès vénère Amon-Nil, dieu de Napata, assis sur son trône dans une sorte de petite chapelle taillée dans la montagne. Devant lui se dresse un immense cobra coiffé de la tiare du sud et dont la queue passe sous les pieds et le trône d'Amon.

Mur du fond. Ramsès conduit des captifs devant les dieux : il fait passer en revue deux files de Hittites enchaînés devant la famille divine thébaine.

Le mur de droite est gravé de scènes traitées comme pour une bande dessinée. Le sculpteur qui se nommait Pyaÿ a gravé son nom à l'angle nord-est du mur. On voit le départ de l'armée égyptienne; le camp protégé par des boucliers; la vie du camp; le roi trônant au conseil de guerre avec ses officiers. Des espions ennemis ont été capturés; ils sont battus pour livrer des renseignements. Un combat oppose les chars égyptiens aux chars hittites; Ramsès dirige la charge sur son propre char; la forteresse de Qadesh est entourée par une boucle de l'Oronte. Ramsès contemple la multitude de mains coupées aux Hittites qui ont péri durant le combat; des captifs entravés sont emmenés. Le roi adresse des actions de grâce aux dieux.

Ramsès II sur son char de bataille, accompagné de son lion.

Le déroulement de la bataille de Qadesh est connu grâce à deux types de documents. Le premier est un Bulletin, rapport militaire assez sec qui expose les événements militaires d'une façon chronologique. Le second est un Poème plus littéraire, un récit épique rédigé en l'an 9 du règne de Ramsès (1271 av. J.-C.) par un scribe nommé Pentaour, peut-être sous la dictée de Ramsès lui-même.

Les huit chambres latérales servaient de magasins, de trésors et de réserves pour les objets précieux, les instruments de culte. Des banquettes, destinées à entreposer des instruments liturgiques, sont aménagées le long des murs.

Dans la seconde salle à quatre piliers (11 m x 8 m environ), petite salle hypostyle, nous pénétrons dans un monde strictement religieux où Pharaon ne se contente plus seulement d'apparaître dialoguant avec les images de l'invisible incarné : accompagné de la reine, il accueille la barque véhiculant la force divine. Les reliefs des murs sud et nord montrent des scènes religieuses suivantes : les dieux et les déesses embrassent le roi-Ramsès fait brûler de l'encens devant la barque sacrée d'Amon-Rê et rend hommage à sa propre divinité, tandis que la reine Néfertari agite des sistres.

On passe ensuite une antichambre; les murs montrent le roi faisant offrande à diverses divinités. Au sud, à Min de Coptes, Horus de Meha, Khnoum d'Éléphantine. Au nord, à Atoum d'Héliopolis, Thot d'Hermopolis et Ptah de Memphis.

 

La subtilité des prêtres-orienteurs

Dans le sanctuaire, devant le mur du fond du temple, quatre grandes statues taillées dans la paroi rocheuse sont assises sur une banquette commune. Ce sont celles de :

- Ptah serré dans sa gaine (à gauche),

- Amon-Rê, au mortier surmonté de deux hautes plumes,

- Ramsès II,

- Rê-Horakhty (Horus), à tête de faucon.

Le roi figure ainsi de pair avec les trois dieux les plus importants.

De gauche à droite : Ptah, Amon-Rê, Ramses II et Rê-Horakhty.

Les statues sont disposées de telle manière que toutes, à l'exception de Ptah qui n'est pas un dieu solaire mais un dieu chtonien, recevaient directement la lumière du soleil sur leurs visages lors des solstices.

Chaque année, le 20 octobre, le soleil, à son lever pénétrait dans le sanctuaire et éclairait le visage de la statue d'Amon puis celui du roi. Le 20 février, les premiers rayons de l'astre touchaient la statue d'Horus puis celle du roi.

Cette subtilité des prêtres-orienteurs avait pour but de revivifier l'intensité des forces de chaque silhouette divine afin de revigorer la statue de Ramsès.

On remarquera au centre du sanctuaire, un support taillé dans le rocher même, où devait être déposée la barque sacrée.

Les murs sud et nord représentent l'encensement par le roi de la barque d'Amon, posée sur son socle. Derrière la barque, Min-Amon aspect générateur de Ramsès, disperse sa semence.

 

Le temple d'Hathor ou « le spéos de la Reine »

Un peu au nord du grand temple, face au Nil, Ramsès II a fait creuser dans la colline d'Ibshek, un second sanctuaire, plus petit, qu'il a consacré à la déesse Hathor et à sa représentante suprême, sa Grande Épouse Royale, Néfertari (ou Nofrétari).
C’est la première fois qu'un édifice religieux est consacré à une épouse de pharaon.

La façade du temple

Des piliers de soutien, hauts de près de 12 mètres, inclinés vers le temple, ornent la façade qui imite cette fois la forme de pylônes; six statues colossales debout, de dix mètres de hauteur, sont disposées dans des niches de telle sorte que de chaque côté de l'entrée une figure de la reine soit encadrée par deux figures du roi ; toutes sont tournées vers le soleil. À gauche, le roi est coiffé de la mitre blanche du sud, celle d'Osiris, tandis que la reine à sa gauche possède une coiffure dominée par des rémiges de rapace entourées de deux hautes cornes et tient contre sa poitrine le sistre hathorique.

La reine Néfertari.

Aux pieds de ces grandes statues, de plus petites, également engagées dans le rocher, représentent les enfants du couple royal, les fils ont les pieds joints, les filles sont représentées dans l'attitude de la marche. Du sud au nord, le roi est entouré des princes Méry-Atoum et Méryrê. Puis, la reine est entourée des princesses Hénouttaouy et Méritamon. La première statue de colosse est entourée de Parêhe-rounemef et de Amon-her-Khepechef ; les mêmes personnages sont représentés de l'autre côté de la porte. La seconde statue de la reine est entourée de Hénouttaouy et de Méritamon. Enfin, la statue du roi ici sous l'aspect de Ptah-Tenen est entourée de Méry-Atoum et de Méryrê. Une frise de cobras protège l'entrée du temple.

L'intérieur du temple

Le plan de ce spéos est symétrique; il est centré sur une salle-cour à six piliers derrière laquelle se trouve une antichambre avec pièces latérales et sanctuaire. Dans la grande salle, les six piliers sont décorés : sur le côté qui est tourné vers l'axe du temple, la décoration porte sur de grands sistres ornés de la tête d'Hathor avec oreilles de vache et chevelure bouclée, tandis que de l'autre côté, textes et reliefs montrent le couple royal ainsi que les divinités.

Trois portes conduisent dans une antichambre qui précède le sanctuaire, ce dernier se terminant par une niche. On trouve dans cette niche une représentation assez abîmée de la Bonne Vache Hathor d'où sort sous son garrot, l'effigie royale. Tous les murs, ainsi que dans la salle qui précède, ont leurs reliefs centrés sur des scènes montrant le couple royal faisant des offrandes et accomplissant le culte devant les divinités du temple, surtout Isis et Hathor, mais aussi Anoukis, déesse de la cataracte du Nil. Ces scènes sont empreintes d'une grande poésie d'où ressort la tendresse et la protection des deux époux l'un pour l'autre.

Ramsès II offre des lotus à la déesse Hathor.

On remarquera particulièrement le traitement du corps de la reine, qui n'apparaît nulle part aussi marqué qu'ici : elle est représentée sous un aspect svelte et élégant, séductrice, les hanches galbées, presque à l'excès. On a affaire ici à une convention, encore que ces figures doivent beaucoup au portrait; par exemple la façon de traiter la carnation - toutes les couleurs sont encore bien conservées - est différente d'ailleurs. Une curieuse coloration claire et un légèrement jaune prédomine; peut-être s'agit-il d'une allusion à Hathor surnommée « la Dorée ».

Le nombre 16

Le nombre 16, jusqu'à l'époque gréco-romaine, est lié en Égypte à la notion de joie, puisque la hauteur de 16 coudées (1 coudée royale = 0,527 mètre) correspond à la hauteur idéale de l'Inondation la plus favorable au pays.

La preuve se trouve sur la façade du petit speos nord. Les statues du roi et de la reine qui l'ornent mesurent chacune sept mètres de haut, à l'exception de celle de l'extrême sud, légèrement plus haute, représentant le roi portant la couronne blanche du Sud. À l'oeil nu on peut constater que cette dernière effigie est plus haute que ses voisines. Le symbole s'explique : elle mesure les 16 coudées de l'Inondation idéale. La statue évoque le roi-Inondation arrivant du sud.

La même mesure chiffrée apparaît encore plus marquée sur la façade du grand speos, exprimée par les statues des membres de la famille royale, sélectionnées par Ramsès à l'époque de la réalisation du temple. On reconnaît quatre fois sa personne colossale, puis deux effigies de sa mère Touy, deux effigies de sa Grande Épouse Royale Néfrétari, deux effigies de ses filles Bentanat et Meryt-Amon, deux filles secondaires : Nébèt-Taouy et Baket-Mout, deux autres princesses : Nofrétari II et Bentatat II (?) et deux effigies des princes aînés : Imenherkhopshef et Ramessou (Ramsès). Soit seize représentations des membres de la famille de Pharaon les plus importants à l'époque, évoquant encore une fois les seize coudées de l'Inondation ardemment désirée.

L'arrivée de l'Inondation

Les deux grottes de Méha et d'Ibshek veillaient sur son arrivée au moyen de l'occulte magie des rites, puissante alliée de la nature.

"Ces deux grottes sacrées, essentiellement complémentaires, concrétisent par leur emplacement, leur forme et leur message, l’arrivée de l'inondation en Nubie égyptienne : c'est l'instant béni du jour de l'An égyptien où Pharaon réapparaît sur son trône à l'issue de la cérémonie jubilaire annuelle, comme un soleil rajeuni garant du renouveau de l'Égypte, avec le retour du flot impétueux. Ce phénomène se produit aux environs du 18 juillet.

À l'aube, l'étoile Sothis qui avait disparu du ciel pendant soixante-dix jours, se montre à l'horizon oriental quelques instants avant que le soleil ne se manifeste. Les Égyptiens appelaient ce prodige le "lever héliaque de l'étoile Sothis", fêté dans le pays tout entier; cela constituait aussi le premier jour du calendrier de 365 jours 1/4 dont nous avons hérité."

Christiane Desroches Noblecourt.

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