Medinet Habou

Le Château de Millions d'Années de Ramsès III

XXe dynastie (1184-1153)

Plan de Medinet Habou

A un kilomètre et demi environ au sud-ouest du Ramesseum, dans la partie sud de Thèbes-ouest, à la limite des cultures, se dresse la masse imposante de Medinet-Habou, le plus vaste de tous les temples funéraires égyptiens. C'est Ramsès III, le dernier des grands pharaons (1184-1153), qui le fit construire sur l'emplacement d'édifices antérieurs. Ce « château des millions d'années » est une apologie de la puissance royale, bien nécessaire à une époque où l'Égypte était menacée par une double vague d'envahisseurs, les Libyens et les Peuples de la Mer.

A la fin de l'époque ramesside, Medinet-Habou était le centre religieux et économique de la rive gauche thébaine. Il s'agissait d'un véritable temple-ville, comprenant des magasins, des ateliers, des locaux administratifs, des logements pour les prêtres et les fonctionnaires. Le vizir y avait des bureaux et y présidait une cour de justice. Ce district possédait son propre maire et sa propre police.

Si Amon était le dieu principal du temple, le culte d'Osiris, cher au cœur du peuple n'était pas oublié. L'endroit, il est vrai, n'est pas banal. Medinet-Habou fut bâti sur un territoire sacré entre tous, « la butte de Djémê » où furent enterrés les huit dieux primordiaux qui existèrent avant la création du monde, sous la forme de quatre couples de grenouilles et de serpents. Après avoir préparé les conditions nécessaires à la vie sur terre, pendant un âge d'or où, « l'épine ne piquait, où il n'y avait pas de crocodile ravisseur, pas de serpent qui morde », ils vinrent prendre un repos éternel à cet endroit de Thèbes, un tertre marquant, d'ailleurs leur tombe à l'intérieur du temple. Ils étaient rassemblés autour du Père, Kematef « le créateur de l'instant juste ». Le dieu Amon les considéra comme ses ancêtres. Tous les dix jours, il leur rendait visite, célébrant la mémoire de ces puissances élémentaires sans lesquelles le monde n'existerait pas. Constructeur des êtres, père des dieux et des déesses, Amon était l'utilisateur principal de ces huit énergies. De plus, ce voyage régulier entre Karnak et Medinet-Habou unissait la rive est à la rive ouest, le domaine des vivants à celui des morts.

Après le Nouvel Empire, pendant les périodes d'invasions et de troubles sociaux, la zone de Thèbes-Ouest devint peu sûre. Des brigands la sillonnèrent en bandes armées dont certaines subsistèrent jusqu'au XXème siècle après J.-C. Medinet-Habou devint un temple-refuge, où s'installaient volontiers les artisans pour pouvoir travailler en paix. Cette vocation d'asile contre les dangers de toute sorte dura longtemps, puisque le site fut constamment habité jusqu'au IXème siècle après J.-C. La petite cité copte était en partie installée à l'intérieur du temple. Ses habitants furent obligés de fuir - ils étaient chrétiens - lors de l'invasion arabe.

Dans l'Antiquité existait un bois d'acacias entre Medinet-Habou et les colosses de Memnon. Le vert délicat de ces arbres dédiés à Osiris apportait une note de douceur et de sérénité dans un paysage aujourd'hui sévère et nostalgique, qu'il est préférable de voir en fin de journée. Les jeux du soleil couchant sur les puissants murs de Medinet-Habou sont inoubliables. On perçoit alors que l'immense effort des constructeurs et que le choix du colossal n'étaient pas gratuits. Il fallait cette force-là, incarnée dans la pierre, pour atteindre la sérénité d'un crépuscule qui n'était pas décadence.

Quand on parle de Medinet-Habou, on pense aussitôt au temple funéraire de Ramsès III, principal monument du site. Mais ce dernier abrite d'autres édifices, datant d'époques différentes, comme le temple des Thoutmosides et les chapelles des Divines Adoratrices. Néanmoins, ils sont inclus à l'intérieur d'une enceinte, une muraille de brique crue assez bien conservée, et s'intègrent donc dans le plan d'ensemble du territoire sacré.

L'enceinte empêche le profane d'accéder au temple. Mais elle n'est pas muette. Ramsès III, en raison des circonstances politiques de son temps, dut mener de longs et difficiles combats pour préserver l'intégrité de l'Égypte attaquée à la fois par les Libyens, les Syriens et les peuples de la mer. Inférieure en nombre, l'armée égyptienne, bien commandée et bien préparée, réussit à repousser les assauts, écartant des menaces d'invasion qui seront plus tard triste réalité. C'est sur le côté nord-est de l'enceinte qu'on assistera à l'épisode central des guerres de Ramsès III : la première grande bataille navale de l'Histoire, au cours de laquelle les Égyptiens coulèrent la flotte adverse. Sur le côté sud-ouest de cette même enceinte, l'aspect « guerrier » de Pharaon est complété par son aspect « chasseur »: il part dans le désert et dans les zones marécageuses pour y tuer le bouquetin, l'âne sauvage et le taureau, qu'on voit agoniser dans des postures poignantes. Trois animaux dangereux, trois créatures du dieu Seth, l'assassin d'Osiris, qui règne sur les étendues désertiques et incultes. Chasse et guerre procèdent de la même volonté civilisatrice de Pharaon : empêcher le désordre de s'installer, soumettre les puissances risquant de devenir destructrices. Tout cela s'inscrit d'ailleurs dans un cadre religieux, puisque un grand calendrier des fêtes indique la succession des rituels à célébrer tout au long de l'année. Ainsi, les profanes savaient que le temple était en perpétuelle activité et que la prospérité du pays dépendait de lui.

Au point d'arrivée de la route qui mène à Medinet Habou correspondait un débarcadère, marquant le terme d'un canal qui reliait le Nil au temple. Ce dispositif, classique en Égypte, facilitait l'apport des matériaux de construction, et permettait aux processions de se déployer. De ce point de vue, Medinet Habou apparaît comme un édifice presque écrasant. Souvenons-nous que le temple de Ramsès III est inspiré, sinon imité, du Ramesseum, le temple funéraire malheureusement dégradé de Ramsès II. Ce dernier était le modèle de Ramsès III qui s'en montra d'ailleurs digne, par son courage et sa volonté de maintenir l'Égypte au rang de grande puissance.

Mais le fracas des armes s'est apaisé. Il demeure la paix profonde de ces pierres, autrefois blanches, sur lesquelles les couleurs chatoyantes des hiéroglyphes et des scènes ressortaient comme autant d'images vivantes, animées de l'intérieur. Rien n'est moins funéraire qu'un tel temple, puisque la mort est ferment de vie.

Porte ou migdol, muraille

Image frappante de Medinet-Habou : ses deux tours fortifiées qui en gardent l'accès et en font un temple-forteresse (n° 1 sur le plan), présentant un caractère militaire tout à fait exceptionnel dans l'architecture religieuse égyptienne, d'autant plus que ce pylône s'inspire d'un modèle étranger, syrien en l'occurrence. Ce choix a des raisons profondes, d'origine magique. Le roi tout en protégeant l'édifice contre les agressions extérieures, inscrit sa victoire dans l'éternité de la pierre. Les tours fortifiées ne seront jamais prises par quelque adversaire que ce soit.

Les deux tours fortifiées de la porte d'entrée (migdol).

Comme il était nécessaire, un des éléments essentiels de la décoration de ce portail est la victoire de Pharaon sur ses ennemis. Amon-Rê lui a donné la puissance sur toutes les nations. La force est dans son poing. Il est le faucon Horus volant dans les cieux. Ses membres sont ceux des dieux. Il apparaît comme le soleil. Ciel et terre se réjouissent de son action, car son cœur est sage, son discours parfait. Nubiens, Hittites, Libyens, Peuples de la Mer sont vaincus par Ramsès qui sacrifie rituellement leurs chefs en l'honneur d'Amon et du dieu de la lumière, Rê. Pharaon rend également hommage à Seth qui, loin d'être seulement un dieu maléfique et dangereux, lui a donné vaillance et force pour triompher des ténèbres.

Les tours comportent des étages, percés de fenêtres ; leurs rebords reposent sur des têtes d'ennemis vaincus. Les adversaires d'hier sont donc devenus des supports d'ouvertures par lesquelles passe la lumière.

L'un des noms de Medinet Habou est « Uni-avec-l'éternité ». Il bénéficie de la protection spéciale du dieu Ptah, présent sur la face extérieure du portail. Il était réputé écouter les prières, tel un gardien du seuil qui écarte les ambitieux et accueille les humbles.

Lorsque l'on monte dans les étages supérieurs de ce portail d'accès, une surprise nous attend. Plus de scènes de guerre, plus de bruits de bataille mais, sur les côtés des fenêtres, des représentations de Ramsès III prenant repos et plaisir parmi les jeunes femmes de son harem. Il caresse le menton de l'une d'elles, probablement une courtisane qui avait ses faveurs du moment. Il ne s'agit pas d'une aimable anecdote. A l'extérieur de la tour, le combat et l'action brutale. A l'intérieur, la paix, le luxe, la volupté. La guerre est nécessaire pour qu'existe la paix, mais elles sont indissociables l'une de l'autre. A l'extérieur de nous-mêmes, nous rencontrerons toujours des conflits. A l'intérieur, nous pouvons créer un paradis.

Outre cet enseignement, Ramsès III voulait aussi se protéger magiquement contre son harem, à la suite d'un grave complot. Une femme de la cour, un intendant du harem, un militaire de haut rang, des scribes et un magicien avaient décidé d'assassiner Pharaon. Ils fabriquèrent des figurines d'envoûtement pour paralyser la garde du roi. Mais la manœuvre fut découverte et un grand procès s'ouvrit, aboutissant à la condamnation à mort des meneurs. La sanction fut exécutée sous deux formes; d'une part, suppression du nom remplacé par un autre, négatif (par exemple: monsieur « Rê-m'aime » devint « Rê-me-déteste »), ce qui aboutit à l'exclusion des paradis et à l'anéantissement de l'être; d'autre part, le suicide. Pour éviter que semblables abominations se répètent, Pharaon fit représenter un harem heureux sans intrigues.

Chapelle des Divines Adoratrices

Légèrement sur la gauche de ce portail d'entrée, en progressant vers le grand temple, deux édifices accolés : les chapelles des prêtresses d'Amon, nommées les Divines Adoratrices (n° 2 sur le plan).

Les Divines Adoratrices étaient les épouses mystiques d’Amon et leur pouvoir, en tant que prêtresses du grand dieu, était considérable. Les femmes ont toujours tenu une grande place dans la société égyptienne et, dans, le domaine religieux, elles jouaient le rôle de chanteuses sacrées. Puis, à la Basse Époque, leur rôle se fit plus précis et elles devinrent symboliquement les épouses du dieu Amon. Cette fonction échut aux filles royales, aux jeunes princesses qui, pour l’occasion, devaient rester vierges et pures. Représentatives de la personne de Pharaon dans l’Égypte entière, il était normal qu’une chapelle leur soit consacrée : ici, il s’agit de deux petits monuments, l’un réservé à Aménardis, fille du roi Kasta (XXVème dynastie), l’autre conçu pour Chepenoupet, fille de Piankhy, et pour l’épouse de Psammetique I et de sa fille Nitocris.

Les textes inscrits sur les murs contiennent un « appel aux vivants » adressé à ceux qui passeront devant ces sanctuaires élevés à la mémoire de femmes initiées aux mystères; quiconque leur témoignera du respect respirera le souffle de vie et ne souffrira plus de maladie. Les scènes décorant l'intérieur de ces chapelles montrent les Divines Adoratrices en présence des divinités. Figurent également des textes rituels, comme celui de « l'ouverture de la bouche » et des passages des plus anciens recueils religieux, ceux des Pyramides et des Sarcophages. C'est un retour à la tradition première, une nouvelle mise en lumière de la sagesse qui créa l'Égypte. Mais les Divines Adoratrices savaient aussi innover: c'est ici que l'on contemple, en effet, le premier exemple égyptien d'une voûte en pierre.

Une Divine Adoratrice.

Temple de la XVIIIème dynastie

En face des chapelles des Divines Adoratrices, à droite du portail d'entrée, se dresse le petit temple de la XVIIIème dynastie (n° 3 sur le plan). L'édifice original, construit par Aménophis Ier, fut agrandi et embelli par les trois premiers Thoutmosis. Hatshepsout y travailla également. De cette époque, l'édifice a la clarté et l'élégance. Il est, en réalité, l'endroit le plus sacré de Medinet-Habou, le cœur du site primitif où reposent les Huit dieux que nous évoquions plus haut. C'est l'emplacement exact de la butte primordiale. C'est sans doute pourquoi le temple fut l'objet de multiples adjonctions et réfections, notamment aux époques éthiopienne, saïte et ptolémaïque. Les chrétiens l'occupèrent, retraçant même en peinture des épisodes de la vie d'un saint, inattendu locataire d'un sanctuaire pharaonique.

L'édifice est en forme de croix, dont le cœur est occupé par le sanctuaire. Autour, une galerie et des chapelles. La cour fut commencée sous la XXVème dynastie et le pylône date des Ptolémées. Le décor est formé de scènes rituelles classiques.

 

A l'extérieur du sanctuaire, sur le mur nord, se déroulent les très intéressantes scènes de la fondation d'un temple. Construire la demeure des dieux est le premier devoir du pharaon. Il commence par choisir le terrain, étend le cordeau pour en tracer les limites, calcule le moment favorable en fonction de l'astrologie sacrée, creuse la tranchée de fondation, façonne de ses mains la première brique. Quelle que soit l'époque, les phases essentielles de ce rituel demeurèrent inchangées.

Medinet Habou : le grand temple

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