DAKHLA, l'oasis des sources

 

L'oasis de Dakhla (l'oasis "intérieure" ou "l'oasis occidentale"), située à 250 km de Farafra et à 189 km de l'oasis de Kharga, compte environ 80 000 habitants répartis dans seize villages reliés par de petites routes ou pistes. Couverte de palmeraies et de vergers, elle vit de sa production de riz, de blé, de mangues, d'oranges, d'olives et de dattes, ainsi que de l'élevage de volailles. C'est, avec Siwa, l'oasis la plus pittoresque car elle a conservé son habitat traditionnel. Elle est aussi la plus vaste car elle s'étend sur près de quatre-vingts kilomètres sur le rebord d'un plateau s'élevant jusqu'à quatre cents mètres. Les habitants ont la particularité de porter un chapeau de paille à larges bords, en lanières de palmes tressées, ce qui est exceptionnel en Egypte.

Au Néolithique, s'étendait un vaste lac dont la faune comportant éléphants, buffles et autruches, nous est dévoilée par quelques gravures rupestres. Il reste de ce lac plus de 600 sources et divers points d'eau. Après l'assèchement du lac, il est probable que les populations oasiennes soient parties vers l'est pour se fixer dans la vallée du Nil. Une nouvelle zone de cultures devrait être gagnée dans le cadre du projet de la « Nouvelle Vallée » ; mais cela risque de prendre encore beaucoup de temps. On peut voir des bassins filtrants, de faible profondeur, dans lesquels l'eau de source à forte teneur en sel, qui vient d'être forée, dépose son sel. À partir de Dakhla, la ville des sources, une piste partait vers l'est vers Assiout (par la "longue piste" ou Darb el-Tawil) ou remontait vers le nord par Bahariya et Siwa pour rejoindre la Cyrénaïque, tandis qu'une piste vers le sud descendait vers le Soudan.

Dans l'Ancien Empire, Dakhla joua un rôle économique important ne serait-ce que pour ses vins appréciés des pharaons et pour les dattes. L'humidité du climat, jusqu'aux alentours de 2300 av. J.-C., et un grand nombre de puits artésiens permettaient une parfaite exploitation des terres arables. De nombreux coquillages d'eau douce, présents dans le réseau de ruisseaux fossiles ainsi que dans les briques qui servaient à construire les mastabas, prouvent que l'eau était plus abondante qu'elle ne l'est actuellement. Dakhla était certainement très peuplée et pouvait exporter un grand nombre de fruits, de légumes et de céréales.

Dakhla fut également une base de départ pour les expéditions militaires vers le sud et vers l'ouest, "la route inévitable pour gagner les régions extérieures" (J. Yoyotte). L'Egypte a toujours eu besoin d'un accès vers le Sud pour se procurer les produits indispensables à son économie, pour pouvoir recruter les mercenaires noirs (venus, comme les esclaves, de Darfour au Soudan) et assurer sa sécurité au moment où les populations nomades menacées de famine étaient canalisées vers la vallée.

On remarque que les princes-gouverneurs de l'oasis portent tous le titre honorifique de aper ouya imyirti, qui pourrait se traduire par "amiral". Malgré cela, le désert a toujours été un lieu perdu.

L'exploration de l'oasis de Dakhla par les archéologues égyptiens dès 1973, puis par les équipes françaises (IFAO) et canadiennes (Royal Ontario Muséum) à partir de 1977, ont prouvé que l'oasis était occupée par les Égyptiens d'une façon permanente, car ils y résidaient et s'y faisaient enterrer. La capitale était alors Aïn Asil, lieu-dit placé à l'est du village actuel de Balat. La fouille du site est loin d'être achevée car elle couvre plusieurs hectares.

La visite de Dakhla

On peut commencer la visite de l'oasis par Balat, ancienne capitale des gouverneurs de la région des oasis, découverte dans les années 1970 par Ahmed Fakhry. Balat était une ville fortifiée comportant des quartiers administratifs et résidentiels ainsi que des temples et des chapelles funéraires. Construite sur une petite butte, Balat conserve aujourd'hui son architecture oasienne aux murs d'argile, de sable et d'eau et aux charpentes de stipes de palmiers qui n'ont guère changé depuis l'Antiquité.

En 1820, l'explorateur  Frédéric Cailliaud la visita et la décrivit ainsi :
Balat est un gros
village entour
é de murs, qui peut contenir huit-cents habitants; nous y fîmes provision d'eau, c'est dit-on la meilleure de l'oasis. À trois quarts de lieue de Balat est un endroit riant où règne la plus agréable verdure et couvert de bois touffus; on y voit deux superbes ruisseaux bordés d'acacias offrant un ombrage frais aux végétaux qui croissent à leurs pieds.

Maisons anciennes du vieux village de Balat.

L'ancestral système de clé en bois.

À proximité de Balat, le site d'Aïn Asil est en cours de fouilles par une mission française dirigée par Georges Soukiassian. Cette cité était le centre administratif de cette capitale. Des vestiges datés de l'Ancien Empire (Ve et VIe dynasties) témoignent d'une importante présence de l'Egypte pharaonique dans ces oasis, dès 2460 avant notre ère. Aïn Asil est l'un des rares ensembles urbains de l'Ancien Empire à avoir été partiellement conservé. Aïn Asil fut la résidence des gouverneurs de l'oasis de Dakhla à la VIe dynastie et à la Première Période intermédiaire (2200-2040 av. J.-C.). La ville comportait deux grands ensembles : un quartier nord (le plus ancien) et un quartier sud qui regroupait des bâtiments administratifs ainsi que les chapelles des gouverneurs. On a retrouvé hors des murs, le quartier des ateliers de potiers, au sud-ouest, à l'extérieur de la ville. Il en reste des traces de fours de briques crues.

Le site de fouilles du centre administratif d'Aïn Asil.

Dans Aïn Asil, le sanctuaire en briques du gouverneur Médou Néfer avec sa belle voûte nubienne.

À un kilomètre à l'ouest de la ville de Balat, à Qila el-Dabba, on a fouillé la nécropole des gouverneurs de la ville comportant cinq grands mastabas de brique crue, creusés sous terre en hypogée dans l'argile rouge (tombes des personnages officiels). Ces tombeaux sont inégalement bien conservés. Leur structure est un enchevêtrement de chambres réunies entre elles par des escaliers descendant jusqu'à sept mètres de profondeur. On y a retrouvé des vases d'albâtre, des miroirs, des palettes à fard, des chevets de pierre, des statuettes et des bijoux, conservés au musée de Kharga.

On passe devant le mastaba de Médou Néfer (mastaba V), grosse construction de briques crues.

Le mastaba de Médou Néfer.

On arrive ensuite au mastaba de Khentika, (mastaba III), gouverneur de l'oasis, mort à la trentaine, monument le plus typique et le plus élaboré du site car il comprend la chapelle et les appartements funéraires construits en pierre. L'intérieur renferme de belles peintures murales. Le tombeau de Khentika (ou Pépi-Khenty-ka) a été préservé des pilleurs grâce à un effondrement de l'ensemble du mastaba, consécutif au tassement des matériaux de remplissage à l'intérieur du mastaba.

Le mastaba de Khentika.

Le tombeau, orienté est-ouest, est construit au sommet d'un tertre; il se compose d'une chapelle bien restituée (où a été retrouvée une stèle conservée au musée de Kharga), d'une cour et de salles secondaires entourées d'un mur d'enceinte. Le caveau principal était occupé par Khentika, trois pièces secondaires étaient réservées à son fils Déchérou et aux épouses. Des puits ouvrant dans la cour permettaient l'accès aux caveaux. La construction est en brique crue à l'exception du caveau principal qui est tapissé de blocs de calcaire en pierre. Au-dessus du caveau a été reconstituée la chapelle.

Sur la paroi nord du caveau, Khentika et son épouse sont assis face à face de part et d'autre d'une table d'offrandes. En haut de la paroi ouest apparaît une belle frise de khakherou (motifs végétaux stylisés) et cette inscription : offrande que donne le roi, offrande que donne Anubis qui préside au pavillon divin; offrande que donne Osiris, maître d'Abydos. En dessous, de droite à gauche, Khentika, debout, vêtu d'un pagne à devanteau triangulaire tient le sceptre sekkhem et le bâton medou; il porte une perruque longue, une barbe et une étole. Devant lui deux personnages présentent des offrandes. Plus loin on remarque une procession de personnages aux bras levés suivis d'une pancarte d'offrandes. Sur la paroi sud sont présentées des scènes nautiques et des travaux agricoles (labour, moisson, silo à céréales). Sur la paroi est, on remarque une scène de chasse à l'hippopotame. Au-dessus de la porte d'entrée, un bateau à rames équipé d'une cabine, transporte un personnage assis devant une table d'offrandes. Au nord de la porte est représentée une scène de banquet funéraire. Sur deux registres superposés, quatre hommes et huit femmes sont assis devant des guéridons, les uns à la suite des autres, respirant une fleur de lotus.

Les appartements souterrains (antichambre et caveau) ont recelé 88 objets des trésors constitués de vases d'albâtre, d'une vaisselle funéraire, d'ustensiles de toilette, de parures en or. Il reste peu de chose du corps du gouverneur car le cercueil était en poussière et la sépulture pillée.

Khentika assis devant une table d'offrande avec son chien couché sous son siège.

Portrait de Khentika.

La chasse à l'hippopotame.

 

À 35 km à l'ouest de Balat, sur la route de Farafra, Mout, capitale de l'oasis, est une ville peuplée de 15000 habitants, ancienne ville fortifiée aux maisons en brique crue s'accrochant aux ruines de la citadelle.

À 30 km au nord-ouest de Mout, AI-Qasr (Qasr signifie château ou forteresse), l'ancienne Kellis, est une cité médiévale édifiée sur une petite colline à partir du XIe siècle, sur les ruines d'une ville romaine dont le temple était dédié à Tithoès, dieu à forme de lion. Construite au pied de falaises calcaires, elle est l'exemple de la ville islamique médiévale dominée par la mosquée Nasr el-Din au haut minaret hérissé de rondins bruts qui rappelle les minarets des mosquées d'Afrique Noire. À AI-Qasr, le minaret est construit dans le style ayyoubide (1171-1250).

La cité médiévale d'Al-Qasr dominée par le minaret de sa mosquée.

On se promène dans les ruelles couvertes qui abritent des maisons anciennes aux lourdes portes de bois; on visite un pressoir à huile ainsi qu'une madrasa (école) récemment rénovée.

La madrasa d'Al-Qasr.

Le vieux pressoir à huile d'olives.

AI-Qasr est réputée pour ses poteries fabriquées dans le quartier de Badoura. Les argiles blanche et rouge sont cuites avec du bois de tamaris; on sort du tour du potier des gargoulettes, des jarres, des cruches ovales qui, grâce à leur porosité, conservent une eau toujours fraîche.

Le four des potiers d'Al-Qasr.

Le temple de Deir el-Hagar ou le "monastère de Pierres", situé à une dizaine de kilomètres à l'ouest d'AI-Qasr, était autrefois le principal monument de la ville Set-Ouha, aujourd'hui disparue. Edifié au Ier siècle, sous le règne de Néron (54-68) et de Vespasien (69-79) puis décoré sous les règnes de Titus (79-81) et de Domitien (81-96), il était consacré à Amon et à Amonet. Le temple est entouré d'une enceinte en brique crue Passée la porte monumentale de l'enceinte, on parvient à un péristyle qui conduit à un pronaos. Sur une colonne du pronaos, les membres de la mission Rohlfs ont gravé leur nom. Des reliefs bien conservés sont gravés sur les parois et présentent des scènes cultuelles ainsi que des scènes d'offrande avec le souverain placé devant les dieux. Le temple est en grès et comprend un pronaos et trois chapelles; il est entouré d'un mur en briques dont l'entrée est un pylône. Amon "Seigneur des trônes du Double-Pays, dieu grand qui réside dans La-Place-de-l'Oasis, Seigneur du ciel, de la terre et des eaux" protégeait les visiteurs. Le temple fut occupé vers le Ve ou VIe siècle par les moines chrétiens et utilisé comme monastère; ainsi la grande salle hypostyle a été transformée en église à trois nefs.

Le temple de Deir el-Hagar.

Le souverain, l'empereur romain Titus, présente des offrandes aux dieux Amon et Khonsou.

Source : Le guide des civilisations égyptiennes, des pharaons à l'islam  (éditions Marcus)

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