KHARGA, l'oasis du sud

 

 

 

Kharga est la plus moderne des oasis de toute l'Egypte. Elle est située dans une dépression longue d'environ 200 km et large de 20 à 50 km. Sa capitale, l'ancienne Hibis des Grecs, l'Hebet des Égyptiens, située dans la partie nord de l'oasis, porte le même nom. Elle est située à la même latitude qu'Esna, à 150 km de Louxor. Un aéroport permet une jonction entre Kharga et Le Caire. Kharga est accessible à partir de Dakhla et par la nouvelle route du désert, achevée en 1991 qui suit la rive droite du Nil jusqu'à Assiout (230 km).

 

Cette capitale de la "Nouvelle Vallée" est aujourd'hui le siège d'un gouvernorat, ce qui a entraî­né une modernisation de l'oasis. Comme pour les autres oasis, la richesse essentielle de Kharga réside dans ses palmiers-dattiers sous lesquels on cultive des céréales et des produits maraîchers. La vieille ville a un aspect particulier avec son dédale de ruelles couvertes de troncs et de branches de palmiers, ce qui atténue la chaleur et protège des tempêtes de sable.

 

La ville, jadis étape sur "la route des Quarante Jours" (temps qu'il fallait mettre pour se rendre de l'Egypte au Soudan, soit 1 700 kilomètres), était une halte pour les caravanes. Ces caravanes qui transportaient les épices, les défenses d'éléphants, les cornes de rhinocéros comportaient jusqu'à 20000 chameaux, plusieurs centaines de marchands et un millier d'esclaves marchant à pied. Vingt pour cent de ces hommes, femmes et enfants ne franchissait pas le Nil. Kharga deviendra un important marché d'esclaves oasites, exportés vers la vallée.

 

La visite de Kharga

 

Un important musée archéologique abrite au rez-de-chaussée des objets de fouilles provenant de Dakhla et de Kharga.

 

À droite de l'entrée, on observera surtout la stèle de Khentika, chef des équipages, gouverneur de l'oasis, avec un texte d'"Appel aux vivants" en lignes horizontales et colonnes verticales. Ce texte est très émouvant :

"Ô les vivants qui êtes sur terre, vous qui passerez devant ce tombeau ! Ce sont les préférés du roi, (ce sont) tous les scribes qui lisent les textes de cette stèle, qui doivent me donner du pain et de la bière, s'ils en ont en main.

S'il n'y a rien dans votre main, alors vous direz, selon la formule : "mille pains, mille bières, pour le chef des équipages, gouverneur de l'Oasis Khentika".

(Car) je suis un esprit-akh, capable et bien établi; si j'ai fait cette stèle, c'est pour que les vivants qui sont sur terre se rappellent ma bonne réputation. Je suis un pensionné. J'ai donné du pain à l'affamé, des vêtements à celui qui était nu, de l'onguent à celui qui était négligé, j'ai offert la justice à celui qui l'a faite."

(traduction de L Pantalacci, Archéologia, novembre 1999, p.26)

 

La stèle de Khentika (musée de Kharga).

 

La stèle a été découverte à Balat par l'équipe de l'IFAO; elle représente Khentika assis devant une table d'offrandes, en compagnie de son fils Déchérou.

 

À gauche de l'entrée, sont exposées quelques momies d'Époque romaine; les vitrines contiennent divers masques, statues, vases d'albâtre recueillis dans les tombes. Une salle au fond, à droite expose quelques témoignages sur la préhistoire des oasis. Le premier étage expose une belle section d'art copte et islamique.

 

Aussi bien dans le nord que dans le sud de l'oasis se visitent de beaux monuments antiques.

 

On ira, à 24 km au nord de Kharga, au pied du Gebel Gheneima, jusqu'aux ruines d'une imposante forteresse romaine datée du Bas Empire, celle d'Ed-Deir aux courtines, chemin de ronde et bastions semi-circulaires bien conservés. Ed-Deir devint un monastère copte après l'Époque romaine et fut même utilisée par les troupes britanniques jusqu'à la première guerre mondiale.

 

La forteresse romaine d'Ed-Deir dans son cadre extraordinaire.

 

 

La forteresse romaine d'Ed-Deir.

 

 

À quatre kilomètres, au nord-ouest de Kharga, enchâssé dans la verdure, se dresse un temple construit par les Perses, pratiquement le seul en Egypte à cette époque, le grand temple d'Hibis, consacré à Amon d'Hibis, c'est à dire Aménébis, construit non loin de ce qui sera l'établissement romain d'Hibis. Commandité par Darius Ier (522-486 av. J.-C.) ce temple est le mieux conservé des monuments antiques des oasis. Il marque l'emplacement de l'ancienne capitale qui s'étendait de part et d'autre d'un vaste lac sacré aujourd'hui asséché. Le temple a été édifié en plusieurs étapes; la partie centrale, la plus ancienne date du règne de Psammétique II (595-589 av. J.-C.), décorée par la suite par Darius Ier. De forme quadrangulaire, il frappe d'emblée par sa grandeur et ses proportions harmonieuses.

 

Le grand temple d'Hibis.

 

Le grand temple d'Hibis (reconstitution JC. Golvin).

 

On aborde le temple par le quai processionnel (à proximité de  la route) on traverse ensuite une allée de sphinx qui conduit à l'enceinte du temple. Quatre portes en enfilade conduisent au temple (surface : 42 m x 20 m). On remarquera sur la deuxième porte à droite, une longue inscription en grec, sur 66 lignes, celle d'un décret de Galba édicté en l'an 69 apr. J.-C. Un naos, une salle à quatre colonnes (vestibule), une salle hypostyle, un avant-corps à colonnes, précèdent le sanctuaire et une petite chapelle latérale, sur la droite.

 

Tous les murs du temple ainsi que les montants de portes sont couverts de reliefs d'une grande variété. Dans l'enfilade des portes on peut lire des textes de dédicace et admirer des scènes d'offrandes du roi Darius Ier à différentes divinités. Sur le portique : textes relatifs à la construction   du   temple; dédicaces; Nectanebo Ier (380-362 av. J.-C.) fait des offrandes aux dieux.

 

Dans la salle hypostyle à quatre colonnes lotiformes, construite par Nectanebo Ier : scènes d'offrandes : offrande du vin à Sopdou "des deux déserts de l'est" et à Khensout, forme d'Hathor - consécration de la "grande offrande" à Oupouaout "le dieu grand qui réside à Hibis" ainsi qu'à Hathor - grande offrande devant Résy-Oudjat "qui réside à Hibis" - rite du "froissement des papyrus" (on frotte deux papyrus pour attirer l'attention divine) avec le roi devant les dieux.

 

Sur la paroi ouest : scènes d'offrandes à Min, Nefertoum, Ptah, la triade hibite, Horus d'Edfou - sur le mur sud : course du roi devant les enseignes et traction de la barque de Sokaris lors de la fête de la résurrection d'Osiris. Au registre médian : membres de l'Ogdoade hermopolitaine représentés sous forme de personnages à tête de serpents ou de batraciens. Sur le registre supérieur : offrande des onguents à Amon-Rê et à Rê-Horakhty ainsi qu'à Ptah et à Sakhmis.

 

Dans le pronaos (avant-corps à colonnes) : les huit dieux primordiaux d'Hermopolis; hymne royal en l'honneur d'Amon-Rê; Darius, Thot et Harsiesis tirent ensemble la barque de Sokaris; Geb et Nout embrassent le roi; Darius traverse les fourrés de papyrus; Sekhmet embrasse le roi et l'oint; nombreux textes souvent gravés en longues colonnes.

 

À gauche de l'entrée du sanctuaire : offrande de Darius Ier à Chou et à Tefnout et offrande des laitues à Min - offrande de Maât à Amon et à Mout. À droite de l'entrée du sanctuaire : Seth, homme à tête de faucon, coiffé d'un pschent, est à carnation bleue, celle de l'eau et de l'air, comme Amon. Accompagné d'un lion, il terrasse, à l'aide d'une lance, le dragon Apophjs représenté sous la forme d'un serpent régnant dans les sables. Cette figuration est unique, elle symbolise la victoire de la force solaire sur le monstre des ténèbres.

 

Seth, homme à tête de faucon, terrasse le serpent Apophis.

 

Dans le sanctuaire : sur neuf registres, sont classés tous les dieux égyptiens connus avec leurs symboles et leur animal sacré. Les scènes semblent réunir deux cultes différents, celui de la triade thébaine Aménébis-Mout-Khonsou et celui de la triade osirienne Osiris-Isis-Horus. Dans la chapelle latérale : Khnoum et Ptah modèlent le roi sur le tour de potier; Neith allaite l'enfant royal. Dans la chapelle osiriaque : représentation des thèmes classiques, mort, funérailles et résurrection d'Osiris, lamentations d'Isis et de Nephtys, hymnes à Osiris.

 

Les murs de la salle hypostyle portent les graffiti de l'explorateur nantais Frédéric Caillaud, du géographe allemand Gerhard Rohlfs, du consul de France et antiquaire Drovetti. La terrasse du temple présente un grand intérêt car, comme à Dendera, elle jouait un rôle dans la liturgie et dans l'exposition des statues de culte au soleil levant, lors du rituel dit "l'union au disque".

 

Un kilomètre plus au nord-ouest du temple d'Hibis, sur les déclivités d'un vallonnement, s'étend l'une des plus anciennes nécropoles chrétiennes au monde, celle d'EI-Bagawat avec 263 chapelles en brique crue, de style romano-byzantin, décorées de pilastres et de niches et placées au-dessus de tombes familiales. Elles ont été érigées depuis le IVe siècle jusqu'à la fin du VIIe siècle. Ces chapelles à coupoles en brique crue - exemple d'art protocopte - entourent une église construite vers le IVe siècle. Les murs extérieurs sont décorés de chapiteaux, d'arcades, de niches qui rappellent certaines décorations sassanides de l'Iran préislamique.

 

La nécropole chrétienne d'El-Bagawat.

 

Les coupoles et les absides des tombes et des chapelles renfer­ment quelques chefs-d'œuvres de la peinture copte, illustrant des thèmes de l'Ancien Testament et du christianisme primitif, ceci dans un style hellénistique et romain. Les peintures, représentés avec une profusion de détails étaient certainement commanditées par de riches Grecs. La plupart des fresques sont peintes dans des tons rouges et violets, dans un style naïf mais exécuté avec beaucoup de détails.

 

La chapelle de la Paix est décorée des thèmes : Adam et Eve, saint Paul de Thèbes et sainte Thècle, l'Annonciation (avec la colombe), l'Arche de Noé, le prophète Jacques, la Prière (Huche), la Justice (Dikaiosynè) avec la balance, Daniel dans la fosse aux lions, la Paix (Eirénè) et le Sacrifice d'Abraham.

 

La chapelle de la Paix : l'Arche de Noé.

 

La tombe 25 ou chapelle des raisins (Anaïd al-Ainab) a ses parois ornées de pampres.

 

La chapelle de l'Exode (IVe siècle) (belle coupole) montre avec naïve­té le thème de l'Exode du peuple d'Israël, hors d'Egypte, guidé par Moïse, se dirigeant vers Jérusalem (on y voit même le tombeau du Christ), pourchassé par la cavalerie de Ramsès II. Parmi les autres thèmes : l'Arche de Noé, Adam et Eve, Daniel, les trois compagnons de Daniel dans la fournaise, le Sacrifice d'Abraham, Jérémie devant le temple, Suzanne, Job malade, Jonas et la baleine, le supplice d'Isaïe, Sarah en prière, sainte Thècle dans son buisson en feu, le Golgotha avec la croix du Christ représentée sous le signe de vie égyptien ankh.

 

C'est à EI-Bagawat que furent inhumés les disciples de l'hérésiarque Nestorius, patriarche de Constantinople, exilé à Kharga en 434. Nestorius eut le tort à cette époque de séparer les deux natures humaine et divine du Christ et d'affirmer que seule la nature humaine était charnelle; il ajouta que Marie, mère du Christ humain, n'était pas la mère du fils de Dieu. Cette doctrine fut combattue par Cyrille, patriarche d'Alexandrie. L'hérésie de Nestorius fut condamnée au concile d'Éphèse de 431. Nestorius mourut en 440. Les Nestoriens durent s'exiler jusqu'en Chine, à Xian. Ils sont de nos jours quelques dizaines de milliers dans le monde.

 

À un kilomètre plus au nord de la nécropole s'étendent les vastes ruines d'un monastère copte du Ve siècle, qui comportait cinq étages; il est connu aujourd'hui sous le nom de Aïn Moustapha Kashef, gouverneur mamelouk de l'oasis. La forteresse romano-byzantine qui se dresse un peu plus loin, fut d'abord un casernement romain, une place forte, un monastère au VIIe siècle. La plaine est parcourue par un réseau d'anciens champs, jadis cultivés par les moines. Il semble que le secteur ait été abandonné par manque d'eau.

 

À deux kilomètres au nord de Bagawat, les carrières de Gebel el-Teir, ouvertes dans un éperon rocheux, ont conservé de nombreux graffiti depuis l'Antiquité, textes en grec, en démotique (à l'encre rouge), en copte, en arabe ainsi que des croix et des inscrip­tions en l'honneur de saints et d'anachorètes.

 

En direction du sud-ouest, on atteint, à deux kilomètres au nord de Kharga, le pronaos bien conservé, entouré d'un mur de briques protecteur, précédé d'une cour, du temple de Nadoura, construit par Hadrien (117-138) et Antonin le Pieux (138-160). On pense que ce temple avait fonction de chapelle-reposoir lors des pèlerinages qui prenaient place autour du lac.

 

Sur la route de Baris

 

À 18 km au sud de Kharga, on peut voir les ruines de Qasr al-Ghoueita (Per-ousekh) ou "Palais de la Belle", situées au sommet d'une butte-témoin, dominant la plaine.

 

Le temple de Qasr al-Ghoueita .

 

On y découvre avec surprise, à l'intérieur des murailles en brique crue, bien restaurées, un temple de la XXVe dynastie dédié à la triade thébaine Amon, Mout et Khonsou, entouré de magasins divins et d'habitations de prêtres. On y vénérait aussi Amon d'Hibis : Aménébis.

 

Le temple date du règne du roi perse Darius Ier (522-486 av. J.-C.). Les parois du temple portent les noms de Ptolémée III Evergète Ier (246-221), de Ptolémée IV Latyre (222-205 av. J.-C.) et de Ptolémée X (107-88 av. J.-C.). De nombreux graffiti prouvent le passage de Grecs. Le temple était situé au départ d'une piste qui partait vers Thèbes (Karnak). Il en reste une salle hypostyle et un sanctuaire flanqué de deux salles latérales.

 

Le temple de Qasr al-Ghoueita : la salle hypostyle.

 

On se rendra ensuite à Qasr el-Zayan (30 km au sud d'Hibis), l'ancienne Tchônemyris où aboutissait une des pistes menant d'Asphynis (Asfoun) à Latopolis (Esna), pour visiter les ruines d'un temple dédié à Aménébis (incarnation locale du dieu Amon).

Le temple est formé d'un pronaos précédé d'un propylone adossé au mur d'enceinte. On parvient ensuite dans une salle hypostyle puis dans un vestibule précédant le sanctuaire entouré de deux étroites salles. On peut monter sur la terrasse par un escalier partant du vestibule central, au sud. À l'arrière de la chapelle latérale sud du sanctuaire, on pouvait accéder à une crypte. Là, comme à Siwa, un prêtre caché rendait sans doute l'oracle que venaient demander les pèlerins.

 

Le temple de Qasr el-Zayan.

 

 

À 90 km de Kharga, une bonne route conduit en direction du sud, vers Baris, la ville la plus méridionale des oasis, ville moderne sans intérêt.

 

Après avoir passé Baris, à 23 km au sud-est de cette ville, se dresse le temple-forteresse de Qasr el-Doush, l'antique Kysis, construit à l'Époque romaine. C'est un admirable complexe architectural religieux, civil et militaire qui dut son développement au commerce des esclaves. Porte d'entrée de l'Egypte, l'édifice gardait le "chemin des quarante jours", conduisant vers le nord, la Nubie et vers la vallée du Nil, c'est-à-dire vers les temples de Haute Egypte. Le temple, fouillé par l'IFAO depuis 1976, a été construit par Domitien (81-96), consacré à Isis et Sérapis, dieux suprêmes. Il a ensuite été transformé en forteresse au IVe siècle. Le sanctuaire avec deux pièces en enfilade, à plafond voûté, est flanqué de deux chapelles.

 

Le temple-forteresse de Qasr el-Doush.

 

À l'extérieur du mur arrière, on observera Osiris-Ouy (Sérapis) et Isis. Cette paroi constituait le mur de fond d'une chapelle adossée, sans doute plaquée d'or.

 

Le temple-forteresse de Qasr el-Doush : le mur arrière : Osiris et Isis.

 

 

Sur l'une des parties hautes de la forteresse, a été trouvé un ensemble d'objets d'orfèvrerie comprimés à l'intérieur d'un vase, constituant le "trésor de Doush", trésor cultuel. Le vase  contenait également une couronne avec une figure du dieu Sérapis, deux bracelets ornés de cabochons de pierres fines, soixante-dix-neuf plaquettes (ex-voto) ornées d'un taureau Apis représenté de profil. 

 

Source : Le guide des civilisations égyptiennes, des pharaons à l'islam  (éditions Marcus)

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