Les photographes en Egypte au XIXe siècle

 

Le 19 août 1839, Louis Arago, chargé de présenter l’invention de Daguerre aux Académies des sciences et des beaux-arts réunies, avait dépeint l’avenir de la photographie en ces termes : "Pour copier les millions d’hiéroglyphes qui couvrent même à l’extérieur les grands monuments de Thèbes, de Memphis, de Karnak, il faudrait des vingtaines d’années et des légions de dessinateurs. Avec le daguerréotype, un seul homme pourrait mener à bonne fin cet immense travail. Munissez l’Institut d’Égypte de deux ou trois appareils de M. Daguerre, et sur plusieurs des grandes planches de l’ouvrage célèbre, fruit de notre immortelle expédition, de vastes étendues d’hiéroglyphes réels iront remplacer des hiéroglyphes fictifs ou de pure convention."

Depuis 1839, date officielle de l’invention de la photographie, nombreux ont été les voyageurs, en Orient comme ailleurs, qui ont ajouté à leurs bagages le lourd et encombrant équipement du photographe. La mode croissante de ces voyages, dont le chemin avait été montré par les armées napoléoniennes, par Chateaubriand, Champollion, les poètes romantiques, puis foulé par des curieux toujours plus nombreux jusqu’à la naissance d’un véritable tourisme moderne dans les années 1870 et 1880, a plus tard incité des photographes professionnels à s’installer sur place pour y vendre aux voyageurs de passage des vues réalisées à leur intention, précédant ainsi de plusieurs dizaines d’années le commerce de la carte postale-souvenir.

La photographie en Orient, par conséquent, revêt deux aspects principaux : une pratique individuelle d’amateurs, de peintres, d’archéologues, d’hommes de lettres ou de simples curieux, et un produit de plus grande diffusion, commercialisé sur place. La période qui s’étend de 1850 à 1880 environ est l’âge d’or de la photographie en Orient. Auparavant, quelques voyageurs se sont servis du daguerréotype, mais il n’en reste guère de traces. Le voyage de Maxime Du Camp en 1849-1851 marque donc pour la postérité le début visible des voyages d’exploration photographique. Et les années 1880 constituent le terme de la production commerciale de qualité.

Le daguerréotype

Peintre et décorateur de théâtre, Louis Jacques Mandé Daguerre est déjà connu dans les cercles parisiens pour son Diorama, un spectacle basé sur des effets d’illusions optiques. Depuis longtemps, Daguerre cherche à enregistrer l’image "virtuelle" produite dans une chambre noire. La camera obscura - que le philosophe Aristote décrivait déjà au IIIe siècle av. J.-C. - était connue des peintres de la Renaissance qui l’utilisaient pour "décalquer" les paysages. En 1825, Daguerre rencontre Joseph Nicéphore Niépce, qui mène depuis plus de quinze ans des recherches sur l’héliographie.
Dans son village de Saint-Loup de Varennes, près de Chalon-sur-Saône, en Bourgogne, Niépce obtient ses premiers résultats en 1816. Inventeur de génie, il comprend très tôt que l’image formée dans la camera obscura peut être enregistrée par certains matériaux noircissant au contact de la lumière. Bien que ses essais soient aujourd’hui considérés comme les premières photographies au monde, Niépce mourut en 1833 sans connaître la gloire.

Associé à Niépce depuis 1828, Daguerre perfectionne les travaux de son collègue. Comme support à l’image, il utilise une plaque de cuivre recouverte d’une fine couche d’argent poli, sensibilisée aux vapeurs d’iode. A première vue, l’objet ressemble à un miroir. Une fois exposée entre 5 et 20 minutes dans l’appareil, la plaque, développée aux vapeurs de mercure, produit une image négative. Ce n’est que sous un éclairage oblique et à condition que les parties d’argent poli reflètent de l’ombre que le spectateur voit une image positive.

Le résultat est saisissant de magie et ne manque pas de subjuguer rapidement les intellectuels parisiens. Daguerre montre des images de rue, des natures mortes et surtout des portraits. Grâce au daguerréotype, les détails sont rendus avec une excellente netteté, les valeurs de gris sont agréables. Mais l’image est inversée gauche/droite. Objet unique et non reproductible - au contraire du calotype, ancêtre de la photographie actuelle - le daguerréotype gagne vite des adeptes. Pour la première fois au monde, la réalité peut être reproduite fidèlement sans l’intervention de la main de l’homme.

Grâce à cette technologie expérimentale, peu adaptée aux conditions du voyage, les premiers explorateurs photographes tels que Frédéric Goupil-Fesquet, Joseph-Philibert Girault de Prangey fixèrent les premières images de nombreux sites et paysages.

Frédéric Goupil-Fesquet (1817-1878)

La première photographie qui ait été prise de l’Egypte fut un daguerréotype du somptueux palais du Harem de Méhémet Ali à Alexandrie par Frédéric Goupil-Fesquet, le 7 novembre 1839, en présence du pacha qui désire vivement apprécier les résultats de cette découverte qu'il connaissait déjà par la description. Lesté de son appareil préparé par l'opticien Lerebours, il accompagnait en Égypte son oncle, le peintre Horace Vernet. Il eut la surprise de rencontrer sur place un voyageur canadien d'origine suisse, Joly de Lotbinière (1789-1865) qui fut son compagnon de route et photographia les mêmes sites que lui, à ses côtés.

Ces premières images de Goupil-Fesquet, dont la plupart des originaux sont perdus, furent connues sous forme de lithographies dans Les Excursions daguerriennes publiées par Lerebours en 1842.

Palais du Harem de Méhémet Ali à Alexandrie. Lithographie d'Horace Vernet d’après le daguerréotype de son neveu Frédéric Goupil-Fesquet du 7 nov 1839.

Joseph-Philibert Girault de Prangey (1804-1892)

Amateur d’arts, peintre et jouissant d’une grande fortune personnelle, Girault de Prangey  est l’un des pionniers de la photographie. En 1842, moins de deux ans après l’invention de Daguerre, ce natif de Langres, en Haute-Marne, entreprend un voyage photographique de trois ans, sur les traces de Chateaubriand, autour de la Méditerranée. Passionné d’orientalisme, il traverse l’Italie, la Grèce, l’Égypte, la Syrie, la Palestine, la Turquie, d’où il ramène un millier de daguerréotypes. Une sorte de "bloc-notes photographique" qui lui sert d’esquisse pour ses lithographies, qu’il publie dans deux volumes, Monuments arabes, en 1846, et Monuments et paysages de l’Orient, en 1851.

Kiosque de Trajan à Philae. Daguerréotype de JP. Girault de Prangey 1842-43.
 

Le calotype

En 1841, l’Anglais William Henry Fox Talbot, le premier, brevète la technique du négatif sur papier, qui va lentement s’imposer : à partir d’un papier impressionné en négatif par la lumière, on peut effectuer une révélation sur papier albuminé ou salé qui permet d’obtenir une image positive. Cette technique reste relativement compliquée, surtout en milieu naturel, mais elle offre la possibilité de varier les effets obtenus en intervenant sur le type de produits chimiques nécessaires et leur durée d’utilisation.

Dans ses Souvenirs littéraires, Maxime Du Camp raconte comment son manque de talent pour le dessin le conduit à choisir la photographie. Avant d’embarquer en 1849 pour l’Égypte, il se met donc en apprentissage chez un photographe. Il évoque alors la minutie des opérations : deux minutes de pose sont indispensables pour impressionner le négatif en papier, qu’il faut aussitôt révéler, fixer et laver; ce processus dure plus de quarante minutes, exigeant une obscurité complète, des produits chimiques volatiles et corrosifs dont la manipulation est pour le moins subtile et une grande quantité d’eau pure. On imagine sans peine que cette entreprise, déjà difficile dans un laboratoire parisien, devient presque irréalisable en pleine nature ! De plus, les températures extrêmes liquéfient les produits chimiques, tandis que la poussière et les insectes n’ont de cesse de perturber le processus photographique. Quant au noir complet, il est quasiment impossible à obtenir dans le cadre d’une expédition. Le transport des "fioles de verre, flacons de cristal et bassines de porcelaine" est également malaisé et l’explorateur photographe vit dans la crainte d’un accident qui réduirait en pièces son précieux matériel.

Le négatif papier, que l’on préféra longtemps pour le voyage au négatif sur verre en raison de sa légèreté et de sa solidité, a aussi une esthétique particulière due à la structure fibreuse du papier qui rend les contours très légèrement flous. Si ce flou, ce moelleux étaient hautement prisés par certains photographes, comme Gustave Le Gray, ou par Eugène Delacroix qui y voyait une application heureuse de la "théorie des sacrifices" chère aux peintres, en revanche les portraitistes professionnels, recherchant une netteté qu’ils assimilaient à la ressemblance, passèrent directement du daguerréotype au négatif sur verre vers 1852-1853. C’est ainsi que le calotype resta dans les années 1840-1850 le domaine privilégié de la photographie d’amateur, d’architecture, de paysage et de voyage. De cette époque datent les très beaux albums de voyage restés inégalés de Du Camp, Teynard et Greene.

Maxime Du Camp (1822-1894)

Maxime Du Camp, journaliste et homme de lettres, décida, pour documenter la mission archéologique qu’il avait sollicitée auprès du ministère de l’Instruction publique (et dans laquelle devait l’accompagner son ami Gustave Flaubert), de se munir d’un appareil photographique pour rapporter "des images qui me permettraient une reconstitution exacte". Il contribuait ainsi à réaliser la prédiction de Louis Arago. Si la tâche que s’était assignée Du Camp était en réalité beaucoup plus modeste, la précision, la réalité incontestable de l’image photographique faisaient partie des motivations fondamentales de ces voyages d’exploration qui mêlent art et science, sur les traces de Chateaubriand et de Champollion réunis.

Du Camp, comme beaucoup d’autres, ne fut photographe que pour cette occasion. Il apprit la technique à Paris auprès de Gustave Le Gray avant de partir, connut bien des déboires techniques sur place mais fut sauvé par Alexis de Lagrange, rencontré en route, qui lui enseigna une autre méthode, celle de Blanquart-Évrard. Tout le long du voyage, d’Alexandrie à Beyrouth via Jérusalem, Du Camp photographie les sites et les monuments les plus remarquables, quelques exemples d’architecture civile, de végétation (cèdres, palmiers doums) : en tout, 214 calotypes (dont 125 furent publiés) réalisés en moins d’un an.

Dans une note postérieure, il déclare : "Les dates sont fort importantes pour une histoire de la photographie : la première épreuve (Alexandrie) est de novembre 1849, la dernière (Baalbek) est du 15 septembre 1850." Mais Flaubert donne, dans une lettre d’octobre 1850 à sa mère, des précisions que le ministère ne dut pas connaître : "Maxime a lâché la photographie à Beyrouth. Il l’a cédée à un amateur frénétique : en échange des appareils, nous avons acquis de quoi nous faire à chacun un divan comme les rois n’en ont pas : dix pieds de laine et soie brodée d’or. Je crois que ce sera chic !"

Du Camp est le premier à constituer un ensemble d’images sur papier aussi important. Sa vision est en général frontale, sèche et résolument documentaire. L’omniprésent petit personnage vêtu d’un pagne blanc, seul élément "vivant", n’est là que pour indiquer l’échelle, et ses vues d’architecture sont finalement beaucoup moins sensibles, moins soucieuses d’esthétique que ne le seront celles de Greene, de Teynard et de Cammas. Les tirages effectués dans les ateliers de l’imprimeur lillois Blanquart-Évrard sont cependant d’une qualité extraordinaire : après cent cinquante ans, leurs tonalités noir et blanc sont toujours aussi soutenues.

Quel qu’ait pu être le plaisir pris par Maxime Du Camp à ce voyage en Orient, le jeune ambitieux garda la tête froide et exploita systématiquement cette mission photographique, n’ayant de cesse qu’il n’eût trouvé un éditeur et produit autour de son album le battage nécessaire pour obtenir un beau succès mondain et de curiosité, au grand agacement de Flaubert. 

Ouvrage : Égypte, Nubie, Palestine et Syrie : dessins photographiques recueillis pendant les années 1849, 1850 et 1851, accompagnés d’un texte explicatif et précédés d’une introduction par Maxime Du Camp, chargé d’une mission archéologique en Orient par le ministère de l’Instruction publique, Paris, Gide et Baudry, 1852.

Félix Teynard (1817-1892)

Félix Teynard, ingénieur civil de formation et originaire de Grenoble comme Champollion, partit en Egypte en 1852 sur les traces de Champollion et de Maxime Du Camp. Il voyagea depuis Le Caire jusqu’à la seconde cataracte du Nil et prit au moins 160 photographies. Son intérêt marqué pour la végétation (études d’arbres), le paysage, l’architecture civile indigène montre que sa vision est ouverte aux découvertes qu’il a faites sur place. Comme pour beaucoup d’autres, son expérience photographique se limita à cette expédition. Ses photographies furent présentées au public lors de l’Exposition universelle de 1855 à Paris.

Ouvrage : Égypte et Nubie : sites et monuments les plus intéressants pour l’étude de l’art et de l’histoire, atlas photographié accompagné de plans et d’une table explicative servant de complément à la grande Description de l’Égypte, Paris, Goupil et Cie; Londres, E. Gambart and Co., 1858.

John Beasly Greene (1832-1856)

John B. Greene, fils de banquier américain, né en France, a consacré sa courte existence - il est mort de la tuberculose au Caire à 24 ans - à l’archéologie égyptienne et à la photographie.

Il partit pour l’Égypte à l’automne 1853. Trop jeune et inconnu pour bénéficier d’une investiture officielle, il finança le voyage grâce à sa fortune personnelle. Ne pouvant, en 1854, faute d’autorisation, procéder aux fouilles qu’il avait projeté de réaliser, il passa une grande partie de son voyage sur le Nil à photographier. Il rapporte plus de 200 négatifs de monuments, paysages, sculptures et inscriptions qu'il publie sous le titre Le Nil.

Greene ne pouvait pas ignorer l’album de Maxime Du Camp, sorti peu de temps auparavant des mêmes presses, mais le sien en diffère totalement. Les images sont d’une taille très supérieure, présentées dans un grand format en largeur "à l’italienne", alors que le livre de Du Camp avait un format en hauteur et plus modeste. L’esthétique des vues est tout autre. Dans les photographies de monuments, il fait preuve d’une maîtrise absolue des volumes, des ombres et des lumières, de la beauté propre des ruines égyptiennes, il parvient à évoquer leur présence tangible et leur mystère à la fois, avec une acuité extraordinaire. L’idée de séparer monuments et paysages suggère l’importance toute particulière qu’il attachait à cette seconde catégorie, traitée également avec un sens stupéfiant des proportions. Il embrasse l’immensité du ciel au-dessus des terres, l’infini des étendues désertiques, estompé dans une vapeur impalpable par le grain du calotype. Il joue en géomètre d’un point de repère, palmier, groupe d’arbres, monument lointain, pour structurer une image pleine du vide du ciel, du sable et de l’eau. Sa vue du Nil devant les collines de Thèbes, paysage pourtant arpenté par tous les voyageurs qui l’y ont précédé et suivi, demeure une image sans équivalent.

Ouvrage : Le Nil : monuments, paysages, explorations photographiques, Lille, Imprimerie photographique de Blanquart-Évrard, 1854.

 

Photographie sur verre au collodion

En 1851, le procédé dit "au collodion humide" permet de réduire le temps de pose à environ soixante secondes, mais il présente une difficulté essentielle : après avoir imprégné une plaque de verre d’une couche uniforme de collodion, il est impératif d’effectuer immédiatement l’exposition. Le développement de la plaque de verre négative doit alors se faire sans tarder.

Le photographe Francis Frith nous a laissé un témoignage de cet exercice délicat effectué dans le désert égyptien : "À la seconde cataracte, à mille lieues de l’embouchure du Nil, la température montant à 110° dans ma tente, le collodion bouillait littéralement au contact de la plaque de verre, et je désespérais presque du succès. Néanmoins j’ai peu à peu surmonté ces obstacles et bien d’autres, non sans souffrir compte tenu de la rapidité des opérations, imposée par la chaleur; sans parler de la transpiration excessive, résultant de l’atmosphère suffocante qui régnait à l’intérieur d’une petite tente d’où il fallait absolument chasser tout rayon de lumière, et, par conséquent, tout souffle d’air." (Introduction de l’album Égypte et Palestine.)

Grâce à cette technique, des professionnels talentueux tels que Francis Frith, James Robertson, J. Pascal Sebah, Félix Bonfils arrivent à allier les impératifs commerciaux à leur art. Ils abordent des thèmes plus variés : scènes de genre et types pittoresques. 

A partir du début des années 1860, un nombre très restreint de photographes commence à s’installer à demeure en Égypte mais aucun parmi eux n’est alors originaire du pays. Ils sont tous européens, et professionnels : ils vivent de la vente de leurs photographies à la pièce, collées ou non sur un support en carton, ou regroupées en album auprès des voyageurs, puis des "touristes". C’est pourquoi leurs studios sont situés dans les quartiers étrangers des grandes villes, Alexandrie, le Caire - au Caire, les studios sont regroupés dans le Mousky, autour des jardins de l’Ezbékié, où sont situés notamment le Shepheard Hotel, l’Hôtel Zeg et l’Hôtel des Pyramides - ou quelques années plus tard Port-Saïd.
Parmi les photographes professionnels installés en Orient, les Français sont de très loin les plus nombreux, suivis par les Anglais. Cette prédominance franco-anglaise est sans doute étroitement liée au nombre des voyageurs provenant des deux grandes puissances coloniales; à partir de 1869 et de l’ouverture du canal de Suez, l’Égypte devient en outre une étape pour tous les fonctionnaires, commerçants et militaires anglais en route vers l’Inde.
Mais progressivement, et surtout à partir de 1870, apparaissent également des photographes d’origine locale, grecs et arméniens, comme Sebah, Abdullah ou Lékégian.

Francis Frith (1822-1898)

Francis Frith - Autoportrait en1858
© Bibliothèque nationale de France

Alors que la plupart des photographes commerciaux avaient un atelier sur place, Frith, ancien coutelier et gérant d’épicerie, imprimeur venu à la photographie en 1853, réalisa trois voyages en Orient (Égypte, Syrie et Palestine) entre 1856 et 1859, puis, encouragé par l’accueil enthousiaste que ses images avaient reçu en Angleterre, il ouvrit en 1859 un atelier à Reigate (Surrey) afin de produire des tirages albuminés, en planches séparées ou sous forme de livres illustrés de photographies collées. Ses vues déclinées en grands et petits tirages, vues stéréoscopiques et livres illustrés lui assurèrent renom et fortune. L’entreprise compta de nombreux employés et son champ d’activité ne se limita pas, loin de là, aux images d’Orient ni même aux photographies de Frith. Cette maison prospère continua son activité après la mort de Frith en 1898, jusqu’en 1971.

Frith offre au public anglais des vues parfois sans grande originalité mais techniquement très achevées. Il en vante l’intérêt avec une égale modestie : "Je suis trop profondément épris de ce splendide et lumineux Orient pour oser prétendre que mes photographies faiblement contrastées et dénuées de couleur rendent justice le moins du monde à son charme piquant. De fait, je tiens pour rigoureusement impossible de donner à l’esprit une information complète et exacte si les lieux concernés sont entièrement étrangers à l’œil. Rien ne saurait se substituer au voyage lui-même, pourtant je voudrais procurer à ceux que les circonstances privent de ce luxe des représentations fidèles des scènes dont j’ai été témoin : aussi prendrai-je pour seul guide de ma plume l’exactitude de l’appareil photographique."

Frith n’a jamais prétendu être un artiste, mais plutôt un commerçant avisé et un technicien expérimenté. Offrant ainsi au public exactement ce qu’il demandait, il représente un chaînon significatif entre les voyages archéologiques et les grands ateliers commerciaux installés en Orient après 1860.

Ouvrage : Egypt and Palestine, photographed and described by Francis Frith, London, James S. Virtue, 1858, 2 vol. : tome I, 37 photographies; tome II, 39 photographies.

Félix Bonfils (1831-1885)

Relieur de métier, il apprend la photographie avec Niepce de Saint-Victor, neveu de Niepce, qui a mis au point le procédé de fixation de l’épreuve négative sur verre. Charmé par des voyages antérieurs au Liban, il quitte le Gard avec toute sa famille pour s'installer définitivement à Beyrouth en 1867. Il constitue un catalogue de 15 000 tirages de vues de l'Égypte, la Palestine, la Syrie, la Grèce et la Turquie. Il publie en 1872 Architecture antique à Paris puis cinq volumes intitulés Souvenirs d'Orient parus à Alès en 1877-78, publiés par lui-même pour lesquels il obtient une médaille à l'Exposition universelle de Paris en 1878. 

Antonio Beato (1825-1903)

Photographe britannique d'origine italienne, il est renommé pour ses scènes de genre, portraits, photos d'architecture et de paysages égyptiens en particulier, du pourtour méditerranéen en général. Il était le frère de Felice Beato, avec qui il travailla en diverses occasions.
En 1862, il possède un studio photographique dans le vieux Caire, rue du Mousky. A partir de 1870, Antonio Beato est installé à Louqsor, dans une maison qui lui sert vraisemblablement de logement, studio et boutique. Le choix de cette localité n’est pas fortuit; après le plateau de Giza et ses pyramides, Louqsor est l’un des lieux les plus fréquentés par les voyageurs en Égypte. La renommée du studio de Beato à Louqsor, installé en face du Luxor Hotel est très importante. Après sa mort, Gaston Maspéro, alors directeur au musée du Boulaq, récupère une partie de la collection.

Devant le temple de Louqsor, la construction blanche est la maison-studio de photographie de Beato.

Wilhelm Hammerschmidt (actif vers 1860-70)

Le photographe allemand Wilhelm Hammerschmidt possède un studio photographique au Caire. Il vend des photographies mais aussi des équipements et du matériel photographiques. Il publie en 1862 deux albums de photographie, Monuments de l’Égypte ancienne et Souvenirs d’Égypte et en mars 1862, il devient l’un des membres de la Société française de photographie. Dans ses photographies, il délaisse parfois les vues classiques d’Égypte au profit du petit peuple du Caire.

Zangaki frères (actifs vers 1870)

Les deux frères grecs Zangaki pratiquèrent, comme les Bonfils, la photographie tout autour du bassin méditerranéen, de l’Égypte à la Turquie. On sait très peu de chose sur eux, et leur production, abondante et répandue, ne diffère pas beaucoup de celle de leurs confrères.

J. Pascal Sebah (1823-1886)

Photographe turc installé à Constantinople à partir de 1868, il a une production d'atelier caractéristique de la période de 1870-1890, très largement vendue aux voyageurs. Il propose des "clichés" orientalisants : derviches tourneurs, scènes de bazars, et bain turc possédant néanmoins une certaine poésie. Sebah voyagea beaucoup au Moyen-Orient et en particulier en Égypte pour développer sa collection de photographies.

Abdullah frères (Vichen, Kevork, Hovsep). Actifs entre 1850 et 1899

Issus d’une famille arménienne d’Istanbul, les frères Abdullah ouvrent à Péra, en 1858, le premier studio photographique d’Anatolie. Délaissant le daguerréotype, ils adoptent la nouvelle technique du négatif au collodion. À la demande du Sultan Abdul Hamid II, les frères Abdullah sont chargés d’une campagne photographique couvrant toutes les provinces du vaste Empire. Les photographies ramenées font partie des séries d’images les plus riches et les plus remarquables jamais réalisées dans l’Empire ottoman. Promus au rang de photographes de sa Majesté Impériale le Sultan, la citoyenneté ottomane leur est octroyée. En 1886, à la demande du Khédive Tewfik Pacha, ils installent un studio au Caire et photographient un nombre considérable de sites et de monuments de l’Égypte ancienne.

G. Lékégian (actif vers 1860-1890)

Tout d’abord artiste peintre arménien, G. Lékégian pratique l’aquarelle à Istanbul, peignant des scènes de rue avec un réalisme digne d’un photographe. Il s’installe au Caire en 1887, où il ouvre un studio près de l'hôtel Shepheard et se consacre dès lors à la photographie. Utilisant la technique du négatif sur verre au collodion, il photographie les monuments archéologiques. Il remporte en 1892, la médaille d’or à l’Exposition internationale de photographie de Paris. Remarquable par l’instantanéité et le naturel de ses prises de vues, il s’attache à la reproduction des scènes de la vie paysanne et urbaine de l’Égypte. Photographe officiel de l’armée britannique, il est également photographe personnel du Khédive Abbas II.

 

L’âge d’or de ces entreprises prend fin vers 1880-1890 : la production de tirages originaux, relativement onéreux, se voit concurrencée par la pratique des voyageurs eux-mêmes, bénéficiant de techniques plus abordables, et par l’essor de la carte postale, qui reprend d’ailleurs en partie l’esthétique et les thèmes déjà éprouvés. L’illustration photographique se répand dans les albums imprimés, les livres, la presse au début du XXe siècle, et permet aux curieux et aux voyageurs de se procurer une iconographie orientale sans passer par les tirages originaux.

Une pellicule souple

En 1878, l’art photographique continue heureusement de se simplifier avec l’arrivée des plaques sèches utilisant le gélatino-bromure d’argent à la place du collodion. Le temps de pose tombe à une seconde; l’instantané voit enfin le jour.

En 1889 en outre, la compagnie Eastman, qui fabrique l’appareil Kodak, crée une pellicule souple et incassable en nitrocellulose, qui vient progressivement se substituer aux plaques de verre si fragiles. La plupart des contraintes techniques disparaissent ainsi, octroyant au photographe une liberté inestimable.

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