Le vin en Égypte antique

 

Il est difficile de situer avec précision le lieu et la date de naissance du vin, mais les archéologues le font remonter à la fin de l'âge de la pierre, 5000 ans avant J.-C., à une période où l'homme se sédentarisa.

Les premiers témoignages de la domestication et de la culture de la vigne remontent au IVe millénaire av. J.-C., dans le Caucase, puis en Mésopotamie. La culture de la vigne et la production de vin se développent ensuite en Égypte, en Grèce et dans l’Empire romain, puis en Gaule.

Le premier témoignage incontestable d'une viticulture organisée nous vient de l'Égypte ancienne.

 

Sur les murs des tombeaux, 3000 ans avant J.C., on assiste à la vendange, au foulage du raisin, à sa fermentation, à son transport.

    Les vignobles

Il y a 5 ou 6000 ans, des "vergers à vin" étaient cultivés sur les bords du Nil, car on savait déjà tailler les sarments, construire un pressoir, tirer parti de la fermentation. Et quelle délicatesse pour soigner la vigne !

Pas un sarclage sans jeter quelques pierrailles autour des ceps afin d’aérer la terre. Inlassablement, on recherchait l’escargot qui dévorait les jeunes pousses attendries de rosée. Le vigneron s’inquiétait d’une feuille inutile, dégageait la grappe privée de soleil. Et quand approchait le moment de la cueillette, les oiseaux étaient chassés, tout le jour, à la fronde.

Sous l' Ancien Empire, le vin est strictement réservé à Pharaon et à son entourage. Il est produit dans le Fayoum ou dans le delta, deux régions favorables à la pousse de la vigne, ou importé de pays étrangers comme la Palestine. Le Pharaon possédait sa propre vigne dont la production était utilisée pour les rites funéraires, le vin étant une composante indispensable du culte des divinités, et une partie étant réservée pour sa table.

Sous le Nouvel Empire (1567-1085 av. J.-C.), et notamment avec les Ramsès qui ont beaucoup développé la culture et le commerce du vin, celui-ci s'est répandu dans tout le pays et devint un produit consommé par tous. L'Égypte était devenue un gros producteur de vin et faisait du commerce avec les autres pays méditerranéens.

Les vignobles appartenant à des personnages importants portaient déjà des noms. Ramsès III (1198-1166 avant J.-C.) planta les célèbres vignes de Kan-Komet, de même que de nouveaux vignobles dans les Oasis. La vigne de Djoser, par exemple, portait un nom d'une longueur remarquable : "Loué sois-tu Horus qui est au seuil des cieux". Les Égyptiens qui goûtaient ce vin l'appelaient simplement le breuvage d'Horus.

La terre la plus propice à la vigne était le delta du Nil, mais certains gros propriétaires se sont implantés plus au sud en créant artificiellement un terrain propre à sa culture en bordure du fleuve. Outre ces grands vignobles, tous les jardins étaient dotés d'au moins quelques pieds de vigne.

Méthodes de culture et choix des cépages sont adaptés à l’environnement géographique. Le Delta et le Fayoum sont les deux régions d'Égypte privilégiées où les vignobles peuvent donner un vin de grande qualité. Des jarres inscrites révèlent l’existence de crus recherchés provenant de quatre zones bien identifiées du pays.

Pendant l’occupation perse, puis sous la domination grecque, la viticulture s’étend aux oasis grâce aux techniques d’irrigation; de nouveaux cépages sont introduits.

Pendant l’époque romaine, la documentation administrative permet de connaître les principales opérations relevant des techniques viticoles. Certains vins sont exportés vers l’Italie.

Les textes de l’époque chrétienne copte mettent en relief la continuité de l’évolution de la viticulture de l’Égypte.

    La vigne, symbole du renouveau

Réservé à une élite, le vin est associé aux dieux, notamment à Osiris, dieu de la résurrection. D'une part, parce qu'il amène à une ivresse, assimilée à une possession, il est perçu comme un outil d'initiation et de communication avec les dieux. D'autre part, parce que sa couleur rouge évoque le sang et la vie éternelle.

Osiris, dieu de l’au-delà et garant de la résurrection humaine, est aussi le dieu de la vigne qui est, par excellence, le symbole du renouveau et donc de la vie qui renaît ; il n'est pas rare de la retrouver dans le décor des tombes, non pas seulement comme un des éléments illustrant la vie quotidienne et ses travaux  qui se poursuivent au-delà de la mort, mais surtout comme le symbole même d'Osiris, autrement dit "celui du vin", celui qui est comme le grand témoin de la résurrection.

C'est ainsi le cas de la fameuse "Tombe aux vignes" construite sur la colline de Cheikh Abd el Gournah, pour Sennefer, maire de Thèbes sous Aménophis II, qui ne nous montre pas la cueillette du raisin ou les travaux de vinification, comme certaines chapelles attenant à des tombes privées, mais une treille où les grappes nous invitent à méditer sur le mythe d'Osiris.

Plafond de la "Tombe aux vignes" de Sennefer.

La tombe de Sennefer est justement célèbre pour son plafond et la qualité de ses reliefs ainsi que son état de conservation. Les artisans ont exploité l'irrégularité de celui-ci pour le décorer de vignes, d'où le nom de "Tombe aux vignes" du monument. Un véritable parcours initiatique de l'au-delà égyptien nous est restitué.

Ce symbole persiste d'ailleurs à travers des civilisations et des religions très différentes. L'idée d'éternelle renaissance se retrouve également au travers de Dyonisos et de Jésus. L'origine même du vin est divine : en Grèce, il est donné par Dyonisos au roi Oenée, à Rome c'est Saturne qui tient ce rôle. La Bible a recours à de nombreuses images axées sur la vigne et le vin. Pour ceux qui suivent Moïse, la première vision de la Terre Promise fut une grappe de raisins. Jésus change l'eau en vin lors des Noces de Cana. Il dit : "Je suis le vrai ceps et mon Père est le vigneron". Le vin est bien évidemment au centre de la Cène, en étant identifié au sang du Christ.

L'étymologie du mot "vin"

Celui-ci viendrait de la racine sanscrite vêna (signifiant "aime") que l'on retrouve dans :

vinum en latin, vin en français, vino en italien, wein en allemand et wine en anglais.

Cette étymologie nous confirme donc l'importance donnée à la vigne au cours des siècles.

    La cueillette du raisin

Les treilles sont connues par quelques scènes de mastabas, notamment à travers les peintures murales de la tombe de Nakht, prêtre et scribe du Nouvel Empire (environ 1401-1391 av. J.-C.).

La cueillette du raisin  (tombe du chancelier Nakht à Thèbes).
Nouvel Empire, XVIIIe dynastie, vers 1401-1391 av. J.-C.

Les branches des pieds de vigne étaient palissées, c'est-à-dire liées, sur des piquets fourchus.

La vendange commençait en juillet et se déroulait pendant les semaines où l'inondation atteignait son niveau le plus haut, période pendant laquelle les travaux dans les champs étaient impossibles.

La cueillette des raisins était sans doute assurée par des femmes. Elles coupaient les grappes à l'aide de couteaux à lame incurvée. Les fruits étaient ensuite déposés dans des hottes en osier portées à dos d'homme ou dans des paniers suspendus à un balancier porté sur les épaules.

    Le foulage et le pressage

Les vignerons versaient ensuite le raisin non égrappé dans la cuve de foulage en bois d'acacia, ronde, large et basse, dont les parois étaient couvertes de chaux étanche. A l'origine, la cuve était assez vaste pour accueillir quatre à cinq hommes. Mais il existe des représentations de cuves ne pouvant recevoir qu'une seule personne.

La cuve était surmontée d'une poutrelle à laquelle étaient suspendues des perches auxquelles s'accrochaient les hommes pour piétiner le raisin. Pour tromper la fatigue, les vendangeurs piétinaient en chantant, accompagnés de musiciens qui rythmaient la cadence avec leurs claquettes de bois.

Le foulage du raisin (mastaba de Mérérouka. VIe dynastie. Saqqara).
Les hommes se tiennent à une poutre horizontale et piétinent au rythme des claquoirs.

 

Le pressurage du raisin (mastaba de Mérérouka. VIe dynastie. Saqqara).
Les grappes sont mises dans un sac que l'on tord, grâce à deux bâtons tenus, pour en extraire la dernière goutte de jus.

 

Le foulage du raisin (tombe de Nakht).

Le foulage du raisin (tombe de Ouserhat).

Les vendangeurs foulent les grappes de leurs pieds en se tenant à des cordes en forme de treille.


 

Après le foulage, les vignerons recueillaient le marc resté au fond des cuves et, pour en exprimer tout le jus, l’enfermaient dans un sac de toile qu’ils tordaient fortement.

Le pressoir était un bâti supportant le sac à vendange par des anneaux dans lesquels on glissait deux perches. Celles-ci, actionnées inversement l’une de l’autre, permettaient d’obtenir jusqu’à la dernière goutte de vin.

Au Nouvel Empire (1567-1085 av. J.-C.), les vignerons utilisaient un pressoir composé de deux montants solidement plantés en terre et percés à la même hauteur de deux trous semblables où l'on introduisait les extrémités du sac à vendange.

Quant à la rafle, le résidu formé des grappes, des peaux et des pépins, elle était recueillie et pressée à part dans des sacs robustes en lin munis d'une perche à chaque bout. Des hommes tenaient l'appareil au-dessus d'un baquet, faisaient tourner la perche en sens inverse et tordaient le sac.

    La vinification

Le vin était ensuite stocké et conservé dans des jarres scellées par un bouchon hermétique sur lequel on mentionnait la date de fabrication, la provenance ainsi que le nom du propriétaire récoltant.

Par exemple, voici le texte du sceau retrouvé dans la tombe d'un certain Thoutmès :

« En l'année XXX (du règne de Ramsès II), bon vin du vaste terrain irrigué du temple de Ramsès II à Peri-Amon.
Le chef des vinificateurs, Thoutmès. »

Les amphores pointues étaient dressées contre un mur, les unes à côté des autres, ou plantées au milieu de leur support.

Jarre à vin.

 

Mais ce vin de consommation courante, réclamé par les "estomacs secs comme une botte de paille", n’épuisait pas toute la vendange. Les vignerons gardaient du jus de raisin pour le réduire à feu doux et fabriquer du vin cuit.

Au Nouvel Empire (1567-1085 av. J.-C.), la méthode de vinification change. La cuve de foulage étant alors surélevée et munie d'un conduit d'évacuation, le moût était recueilli au fur et à mesure de l'écoulement dans un baquet, puis était transvasé dans des jarres à fond plat non bouchées.

Les vins blancs et rouges égyptiens fermentaient dans ces grandes jarres à fond plat. Plus ou moins poreux, ces vases de terre cuite étaient enduits de poix intérieurement. On y versait le moût, et bientôt des bulles gazeuses crevaient une écume violacée, tandis que les impuretés se déposaient peu à peu. Le caviste soutirait alors le liquide avec un siphon. Ce transvasement renouvelé plusieurs fois, permettait d’obtenir un vin clair.

Après la fermentation en cave, lors du transvasement des jarres aux amphores, le soutirage comportait un nouveau filtrage.

Le vin était versé dans une fiole avec un couvercle de poterie rond et un morceau d'argile conique pour sa préservation. Sur les taquets de la fiole étaient inscrits des signes hiéroglyphiques décrivant la vigne, le vignoble et les emplacements géographiques possibles (par exemple, Memphis, la capitale du nord, près de Saqqara), en plus du nom du roi. De tels cachets ont été interprétés comme une sorte d'étiquette de vin primitive.

Jarres de stockage pour le vin.

Metropolitan Museum of Art - Tombes des femmes étrangères de Thoutmosis III à Qurna (XVIIIe dynastie)

 

Le tombeau de Toutankhamon contenait ainsi 26 amphores de vin étiquetées avec l'indication du millésime, de sa provenance, le nom du propriétaire et du maître de chai. Sont indiquées mêmes les parcelles d’où provenaient les raisins. Deux de ces jarres sont présentées au musée Ashmolean à Oxford (Royaume-Uni); on peut lire sur les inscriptions pour la jarre 394 :

« Quatrième année. Vin de très bonne qualité du Domaine d’Aton sur les bords de la Rivière occidentale.
Maître de chai : Khay ».

Sur la jarre 571, on peut lire :

« Cinquième année. Vin moelleux du Domaine d’Aton à Karet. Maître de chai : Ramose ».

 

Sceau d'estampage pour jarres à vin au nom d'Aton
(XVIIIe dynastie, époque amarnienne). Musée du Louvre

 

Les jarres à vins des magasins du Ramasseum, le temple funéraire du pharaon Ramsès II, montrent bien l’évolution des valeurs du terroir jusque dans la XIXe dynastie. Trente domaines sont nommés et les appellations se trouvent dans toutes les branches du Nil, avec plusieurs sous-appellations associées aux domaines du roi et aux temples. Un domaine de temple moyen ne produisait qu’une cinquantaine de jarres par an, ce qui laisse supposer que les vignobles étaient de petite taille. L’un des vignobles les plus célèbres de cette époque s’appelait Kaenkeme. Selon un scribe nommé Pbes, les vins de Kaenkeme étaient "d’un moelleux dépassant même celui du miel".

    Le vin, boisson de toutes les fêtes

Depuis la plus haute antiquité, le vin est mêlé au propre et au figuré aux festivités, aux danses, à la musique. Tous les sens sont sollicités.

Par exemple il y a 2 500 ans en Égypte, point de danses et de musique sans boisson alcoolisée. Puis Dionysos et Bacchus prennent le relais : des chants, des danses, et pas de danse sans musique. 

Les Égyptiens, amateurs de boisson sucrée, rajoutaient souvent du miel ou des aromates dans leur vin ou n'hésitaient pas à mélanger plusieurs crus. Le vin royal et celui de la classe dirigeante était un blanc liquoreux. Il existait aussi un rouge puissant, élaboré à partir d'un muscat noir et épais. Le peuple se contentait de vin de dattes ou de palme.

On connaît plusieurs crus égyptiens comme le taniotique, un blanc doux plutôt onctueux à la robe verdâtre et assez astringent ou le sébennythique, élaboré avec du raisin de Thasos et de la résine de pin, si l'on se réfère aux écrits de Pline. Mais le plus connu était le maréotique, dont Cléopâtre était une grande amatrice. C'était un blanc doux et léger, pouvant être conservé longtemps, dont le bouquet était très odorant. Il était produit dans les vignobles du delta.

Mais le vin est également lié aux forces obscures et dangereuses de l'homme. Lors d’une réception chez Pahéri, racontée sur un papyrus, une invitée déclare à un serviteur : 

« Donne-moi dix-huit mesures de vin. Vois ! Je l’aime jusqu’à l’ivresse ».

Une lettre de remontrance adressée à un scribe :

(Traduction de Christiane Desroches Noblecourt, La femme au temps des pharaons)

« On me dit que tu négliges la pratique de l’écriture, et que tu t’abandonnes aux plaisirs.

Tu traînes de taverne en taverne. La bière t’enlève tout respect humain ; elle égare ton esprit.
Tu es comme un gouvernail brisé, qui ne sert à rien.
Tu es comme une chapelle privée du dieu, semblable à une demeure sans pain.

On t’a rencontré occupé à sauter un mur. Les gens fuient devant tes coups dangereux.

Ah ! Si tu voulais comprendre que le vin est une abomination.
Tu maudirais le vin doux ; tu ne penserais pas à la bière et oublierais le vin de l’Étranger.

On t’apprend à chanter au son de la flûte, à dire des poèmes au son du double hautbois,
à chanter "pointu" au son des harpes, à réciter au son de la cithare !

Te voici assis dans la taverne, entouré par les filles de joie.
Tu désires t’épancher et suivre ton plaisir...
Te voici face à une fille, inondée de parfum, une guirlande de fleurs autour du cou, tambourinant sur ton ventre.
Tu vacilles et tu bascules à terre, tout couvert d’immondices. »

Le vin nécessitait une attention et un environnement de qualité pour son élaboration. De ce fait, il était surtout réservé à l'élite. Le reste du peuple égyptien se contentant de la bière, boisson nationale.

Filtre à boire
faïence siliceuse
H. : 6,46 cm. ; D. : 1,50 cm.

Les filtres, placés au bout d'une paille, permettaient de boire le vin sans ses additifs, herbes et aromates. Ils servaient également à consommer la bière, elle aussi pleine de dépôts.

Vase à servir le vin
Nouvel Empire, 1550 - 1069 avant J.-C.
terre cuite

Avec ce genre de vase, on reversait le vin dans des coupes.

    Le commerce du vin égyptien

Au Nouvel Empire, l'Égypte, bien que gros producteur, importait aussi du vin de Palestine, de Syrie et de Phénicie. Le commerce du vin était prospère et de nombreux bateaux assuraient son acheminement sur le Nil. Un écrit nous apprend ainsi qu'un fonctionnaire du palais royal a assuré le transport de 1500 jarres de vin scellées et de 50 jarres de chedeh, une liqueur à base de miel et de vin, sur trois bateaux. Sur certaines jarres, on peut lire la mention : "vin de la troisième fois ou…de la septième fois", ce qui laissent supposer que les Égyptiens recouraient à des soutirages successifs, moyen efficace de préserver la qualité du vin.

Les vignes étaient cultivées dans le delta et étaient surtout appréciées des habitants de cette région septentrionale. Le commerce de vin était très actif sur le Nil. Les bateaux pouvaient embarquer jusqu’à 2000 jarres. Champions de l’administration, les Égyptiens étiquetaient le vin. Des sceaux et étiquettes tracées à l’encre, sur certaines amphores du Nouvel Empire qui nous sont parvenues, mentionnent le nom du propriétaire, du chef des ouvriers vinificateurs et même la nature du sol. L’origine du raisin était même notée, rendant ces étiquettes plus précises que celles qui ornent aujourd’hui nos bouteilles. Les jarres sont bouchées avec des capuchons de terre crue. Pour conserver le vin, on le soutirait fréquemment ou on le cuisait.

Sous les dernières dynasties, le vin devait être un marché lucratif car des chais ont été découverts près du port d'Aboukir dans le Delta du Nil. Un mortier qui porte des traces de vin en recouvre les murs. Des canalisations en pierre ont aussi été retrouvées; on pense que le vin s'y écoulait jusqu'au port où il était chargé sur les navires ancêtres de nos pinardiers. Ces vestiges datent de -395 à -30 av. J.-C., époque où l'Égypte se trouvait dominée par les Romains.

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