Deir el-Bahari

Temple funéraire de la Reine Hatshepsout

« Djéser- djéserou » le « sublime des sublimes »

Le temple à terrasses de Deir el-Bahari ("le Couvent du Nord") aujourd'hui.

 

Reconstitution du temple de la reine Hatshepsout (au fond). Au premier plan, temple de Montouhotep.
Entre les deux, temple de Thoutmosis III.
Reconstitution RMN.

 

Hatshepsout : sa vie

Texte de Christian Jacq « Les Grands monuments de l’Egypte Ancienne » 1986

Introduction à Deir el Bahari par Christian Jacq

 

Plan du temple de Deir el Bahari

 

La première terrasse (n° 1 sur le plan)

A Deir el-Bahari, nous n'allons pas cesser de monter, de passer d'une terrasse à l'autre. Il ne subsiste donc que le cœur du temple, que l'essentiel, comme un squelette dépouillé de ses tamaris, de ses arbres à encens, de ses sycomores, de ses fleurs, de ses vignes, de ses agréments aquatiques, de ses bassins de papyrus, de ses statues royales. Nous sommes confrontés à l'exigeante réalité de la pierre qui a défié le temps, éliminant sans pitié ce qui adoucissait et charmait le regard.

L'intérêt de cette première cour réside dans le mur du fond, contre lequel fut édifié un portique. A ses extrémités, un Osiris (il n'en subsiste qu'un, à droite, vers le nord). D'admirables reliefs, malgré les dégradations, sont inscrits sur le mur du fond de ce portique à colonnes que certains considèrent comme les inspiratrices de l'ordre dorique de l'architecture grecque.

Sur la droite, vers le nord (n° 2 sur le plan), les scènes dites du « portique de la chasse » montrent le Sphinx Hatshepsout piétinant la masse informe et désordonnée de ses ennemis, thème classique du pharaon incarnant l'ordre vainqueur du chaos. On voit aussi une procession de statues royales et l'offrande de quatre veaux (noir, blanc, rouge, tacheté), symbole de l'offrande du monde animal dans sa totalité. Les scènes les plus enchanteresses sont celles où l'on voit Hatshepsout chasser les oiseaux d'eau et cueillir les papyrus. Nous sommes brusquement replongés dans l'univers paradisiaque des tombes de l'Ancien Empire, avec cette multiplicité sauvage et palpitante où l'humain s'aventure avec respect. Oiseaux, fleurs, couleurs, tout semble baigner dans une harmonie bien éloignée des cruautés d'une chasse. Mais Hatshepsout n'est pas une Diane cruelle : elle pêche les âmes, elle capture les états spirituels de l'être dont elle devient dépositaire, en tant que pharaon.

Portique de la chasse : les oiseaux.

De l'autre côté du portique, sur la gauche, vers le sud (n° 3 sur le plan), c'est l'activité d'Hatshepsout Maître d'Œuvre qui est magnifiée. Comme tous les pharaons du Nouvel Empire, Hatshepsout a embelli Karnak, notamment en érigeant ces aiguilles de pierre qu'on nomme des obélisques. Ce « portique des obélisques » narre un authentique exploit, celui des artisans de la reine qui partirent de Thèbes vers Assouan pour extraire des carrières de granit rose des monolithes capables de devenir des obélisques. Nous n'avons guère de détails sur le travail des tailleurs de pierre dont les techniques, en particulier celle du levage, sont restées secrètes en grande partie. Les reliefs se contentent de nous montrer la partie publique de l'œuvre, à savoir le transport par eau des obélisques, grâce à une flottille de vaisseaux parfaitement organisée, et leur accueil triomphal à Karnak, où des soldats jouent trompette et tambour pour célébrer avec vigueur la réussite de l'entreprise. Il fallut employer un chaland de plus de 50 m de long et demander aux dieux de protéger le convoi qui était peut-être guidé par la reine elle-même, du moins dans la dernière partie du parcours. A la joie bruyante de l'arrivée succèdent silence et recueillement. Il faut consacrer le terrain où seront érigés les deux obélisques. La reine effectuera une course rituelle, délimitant magnifiquement un espace. Viendront alors des spécialistes qui lèveront vers le ciel les deux monolithes pour qu'ils attirent la lumière et dispersent les énergies nocives.

 

La deuxième terrasse ou terrasse intermédiaire (n° 4 sur le plan)

Continuons à monter en empruntant à nouveau la rampe axiale du temple. Nous passons devant un lion gardien et nous aboutissons à une terrasse de vastes dimensions. De son milieu approximatif s'élève la suite de la rampe, toujours dans l'axe du temple.

Plusieurs centres d'intérêt: sur le côté nord, à notre droite, un portique de 15 colonnes qui font songer à l'ordre dorique des Grecs. Face à nous, au débouché de la rampe qui continue encore vers le haut, le portique de l'ouest, avec deux rangées de 22 piliers; à droite, vers le nord, les scènes qui justifient la royauté d'Hatshepsout (n° 6 sur le plan) ; plus à droite encore, à l'extrémité nord la chapelle d'Anubis (n° 7). De l'autre côté, à gauche, vers le sud, les reliefs racontant l'expédition au pays de Pount (n° 8) ; plus à gauche, à l'extrémité sud, la chapelle de la déesse Hathor (n° 9).

Examinons d'abord le portique de l'ouest, en commençant par sa partie droite, le « portique de la naissance » (n° 6 sur le plan). Ces scènes sont particulièrement importantes, car la reine y justifie la fonction divine de Pharaon. Cette justification ne s'explique pas par le fait qu'elle soit une femme et qu'elle doive donner davantage d'explications qu'un homme. Chaque pharaon rappelle cette vérité essentielle pour l'Égypte, à savoir qu'il est à la fois humain et divin. Participant des deux natures de la terre et du ciel, il peut exercer son gouvernement matériel sans trahir la règle spirituelle. Des scènes du même ordre ont été inscrites sur les murs de Louxor par Aménophis III et des vestiges d'autres temples prouvent qu'il existait sans doute autant de versions sculptées que de pharaons.

Que nous racontent ces scènes ? Rien moins que la conception et la naissance d'Hatshepsout. On voit d'abord douze dieux tenir conseil sous la présidence d'Amon-Rê. Ces douze représentent l'Ennéade, c'est-à-dire neuf dieux. Que le nombre sacré soit 9 et le chiffre 12 ne représente aucune tradition dans l'esprit égyptien. Le chiffre est secondaire par rapport au Nombre ; quel que soit le chiffre des divinités qui la représentent, l'Ennéade est toujours le 9, symbole de la puissance créatrice et organisatrice de l'univers.

Lors de ce conseil, on évoque la belle souveraine Ahmès. Il est temps de lui donner une descendance. Le dieu Amon se glisse donc dans le corps du roi, son époux. Quand ce dernier entre dans la chambre nuptiale, la reine défaille déjà de plaisir et d'amour. L'odeur du pharaon est si suave que la jeune femme en est enivrée. L'amour parcourt leur être, l'union charnelle est consommée. La reine est enceinte. Son bonheur est immense, mais elle se prépare à souffrir. Les dieux vont l'aider à accoucher selon les rites. L'âme de l'enfant, une fille, la future Hatshepsout, est modelée par le potier divin. On lui donne un nom sacré: Mat-kâ-Râ, c'est-à-dire « l'Harmonie universelle est l'énergie de la Lumière divine ». Toutes les précautions magiques sont prises. Il est à noter que la future reine est ici un pharaon prédestiné, donc de sexe masculin, et que le potier lui crée deux corps, l'un mortel et temporel, l'autre immortel et intemporel (le ka).

Quand son enfant naît, le dieu Amon la prend dans ses bras. Il la reconnaît comme la fille de sa chair, il exprime une joie immense. Sept génies mâles et sept génies femelles (les ancêtres de nos bonnes fées) comblent l'enfant divin de tous les dons pour lui permettre de régner correctement. La vie officielle du nouveau pharaon pourra commencer : Hatshepsout est associée au trône par son père, pour apprendre l'art du gouvernement. On assiste à son couronnement, puis à ses voyages rituels vers le Nord et vers le Sud, pour se faire reconnaître comme souveraine par les dieux des grandes villes.

Certains de ces reliefs ont souffert de mutilations que l'on a attribuées, avec trop de facilité, à Thoutmosis III. Rien ne prouve, en fait, une quelconque haine de ce dernier par rapport à sa tante. S'il avait voulu l'effacer de l'histoire, il n'avait qu'à raser Deir el-Bahari. Au contraire, nous l'avons vu, il a ajouté son propre temple, mais en se faisant discret et en gardant précieusement le chef-d'œuvre architectural de celle qui l'avait précédé sur le trône. De plus, à certains endroits du temple, les visages et les noms d'Hatshepsout sont conservés. Enfin, ces « martelages » ne sont pas des destructions bien efficaces, car ils laissent apparaître la sculpture ; lorsqu'elle était trop effacée, des rois comme Séthi Ier ont pris soin de restaurer les contours afin qu'elle demeure lisible. N'allons donc pas inventer une guerre civile qui n'a jamais existé, mais constatons plutôt que Thoutmosis III a tenu à s'inscrire dans une lignée, en se rattachant directement à Thoutmosis Ier, et en occultant symboliquement les règnes de Thoutmosis II et d'Hatshepsout, qui forment un ensemble à part, une originalité d'ailleurs parfaitement en rapport avec le temple lui-même.

Bas-reliefs et plafond étoilé du mammisi.

La partie gauche du portique, vers le sud, est connue comme « portique de Pount ». C'est le récit d'une grande expédition organisée par la reine vers un pays mi-fabuleux mi-réel (n° 8 sur le plan).

On admet aujourd'hui que le merveilleux pays de Pount (ou d’Opone) se trouve quelque part sur la côte des Somalies. Mais cette localisation géographique a moins d'importance que la fonction même de cette région. Ce n'est pas par souci de faire un beau voyage que la reine organise une importante expédition vers ce pays de cocagne. Il lui faut de l'encens, pour les besoins rituels. Et, dans un pareil cas, les Égyptiens étaient prêts à n'importe quelle aventure pour que le culte soit accompli selon les règles.

L'expédition au pays de Pount

C'est une véritable bande dessinée, composée de reliefs aussi admirables que précis. Le départ s'accomplit sous les meilleurs auspices. On a consulté le ciel et on se place sous sa protection. Il faut alors s'élancer sur la « Grande Verte », avec cinq bateaux, chargés de cadeaux et de victuailles.

La difforme souveraine de Pount.

Transport des arbres à encens.

L'arrivée des Égyptiens à Pount provoque un certain étonnement. Sont-ils venus par les chemins du ciel ? En tout cas, ils ne suscitent aucune crainte. Ce ne sont pas des envahisseurs qui découvrent un village africain, avec ses cases, ses palmiers, ses singes. La famille régnante de Pount accueille les envoyés d'Hatshepsout. La souveraine de Pount est représentée sans complaisance: elle est petite, grosse, difforme, atteinte d'éléphantiasis. Les négociations commerciales s'entament dans la bonne humeur. Les Égyptiens échangent leurs produits contre des arbres à encens, déterrés, avec leurs racines soigneusement enveloppées dans des nattes. Il est bien précisé que ces arbres sont vivants. Les Égyptiens embarquent aussi de l'or, de l'ébène, de l'ivoire, des peaux de panthère, divers animaux exotiques dont une superbe girafe. A Pount, l'expédition se termine par un banquet très arrosé avec, certainement, la promesse de se revoir.

On passe ensuite directement à l'arrivée triomphale en Égypte. A chaque débarquement, il y a une cérémonie religieuse. Celle-ci est exceptionnelle. Thoutmosis III est présent ; il offre de l'encens. Hatshepsout elle-même mesure l'encens au boisseau et le dieu Thot enregistre le résultat.

La reine a rempli sa mission. Elle a fait ramener de Pount l'encens indispensable pour la belle fête de la vallée et les cérémonies du culte d'Amon. Aussi, avec joie et fierté, peut-elle rencontrer le dieu Amon et s'entretenir avec lui.

 

Le sanctuaire d'Hathor

A l'extrémité gauche de ce portique de Pount se trouve le sanctuaire de la déesse Hathor. Pour y accéder, on utilise une rampe. L'édifice est un temple en réduction avec un vestibule, deux salles à piliers et un sanctuaire creusé dans la montagne.

Ici règne la déesse Hathor, dame de l'Occident, qui accueille en son sein le soleil couchant et l'âme des morts. On lui offrait des fleurs, des fruits et des coupes avec, au centre, une grenouille, symbole de résurrection. On y verra des colonnes et des piliers dits « hathoriques », car les chapiteaux sont des têtes de femme à oreilles de vache, I'un des animaux sacrés de la déesse.

Piliers hathoriques.

Autrefois, ce petit temple avait son entrée propre et faisait donc l'objet d'un culte particulier. C'est dans la seconde salle à piliers que l'on découvre des reliefs où se déroulent des scènes de fête en l'honneur d'Hathor. Des réjouissances ont lieu sur le Nil, avec un va-et-vient de bateaux tandis que, sur la rive, des soldats agitent des rameaux. On voit aussi deux épisodes rituels, « la course à l'oiseau » et « la course à la rame », que Pharaon accomplissait pour se régénérer et prouver qu'il se trouvait bien au gouvernail du navire de l'État.

Défilé de soldats au cours des fêtes célébrées en l'honneur d'Hathor.

Une scène très étonnante montre le lien sacré qui unit la reine à la déesse; Hatshepsout, assise sous un dais, tend la main vers la vache qui lui lèche les doigts. « Œil dans œil, dit le texte, baiser le bras, lécher les chairs divines, saturer le pharaon de vie et de puissance ».

La vache Hathor lèche la main d'Hatshepsout.

Dans le sanctuaire, on verra aussi le rite de « frapper la balle » pour Hathor (jeu rituel en rapport avec le « contrôle » du mauvais œil et l'ouverture du bon œil), diverses scènes d'adoration et d'offrande, et surtout la régénération de la déesse par le lait de la vache Hathor. Hatshepsout, agenouillée, boit le lait de la vache du ciel, liqueur de jouvence, liquide magique qui redonnait déjà force et vigueur aux rois de l'Ancien Empire, d'après les Textes des Pyramides.

Le sanctuaire d'Hathor, auquel on accédait par trois marches et où Hatshepsout est célébrée dans son rôle de Maître d'Œuvre, présente deux particularités notables. D'abord, au-dessus d'une niche, sur le mur où est inscrite la scène d'allaitement, on voit deux personnages faire l'offrande du lait et du vin. Leurs visages sont étrangement semblables. L'homme, c'est Thoutmosis III. La femme, c'est Hatshepsout. Le visage de la reine n'a pas été martelé. Sur le mur du fond, la reine est également bien présente entre Hathor, la souveraine de cet édifice, et Amon, le dieu d'empire. Il était essentiel, dans ce petit Saint des saints, que la reine fut présente.

Ensuite nous retrouvons ici le Maître d'Œuvre dont nous avons parlé, l'illustre Senmout. Il est présent, lui aussi, dans le secret de ces temples, de la manière la plus discrète qui soit, derrière les battants de porte des niches, dans l'obscurité. N'y voyons surtout pas vanité ou gloriole, car personne, à part Pharaon et les dieux, ne pouvait voir l'image de l'architecte ! Comme les Maîtres d'Œuvre du Moyen Age, dont le visage figure parfois dans des recoins inaccessibles des cathédrales, Senmout a tenu à être présent magiquement, à participer au rituel qui se déroulait en ces lieux.

La chapelle d'Anubis (n° 7 sur le plan)

A l'extrémité du portique de la naissance, sur la droite, vers le nord, se trouve le sanctuaire d'Anubis, qui fait pendant à celui d'Hathor. Un dieu, une déesse, tous deux dans un rôle funéraire, assumant la fonction de gardiens de la montagne sacrée.

Anubis, celui qui préside au pavillon d'embaumement le seigneur de la nécropole, celui qui est juché sur la montagne, celui qui sait manier les bandelettes de la momie est un homme à tête de chacal. C'est un guide des morts, mais un guide exigeant. Il connaît les secrets du vent, de l'eau et de la pierre. C'est lui, naturellement, qui conduit la reine vers le fond de son sanctuaire.

Ce petit temple d'Anubis se compose essentiellement d'un portique, d'une salle à colonnes où l'on découvre de merveilleux reliefs, aux couleurs très fraîches, et d'un Saint des saints. La rigueur d'Anubis, dieu au visage noir, est atténuée par cette luxuriance aux tons doux, reposants, qui anime les murs de la salle à colonnes. Sous la protection d'Anubis, qui la guide dans les régions de l'au-delà, Hatshepsout vénère Osiris, qui se fait ici très discret, contemple Hathor à la tête ornée de cornes de vache entre lesquelles se lève le soleil, découvre le dieu à tête de faucon, incarnation du soleil qui donne la vie, vénère Sokaris dieu funéraire, à qui est offert le vin qui régénère.

Hatshepsout fait des offrandes à Horus Sokaris.

Anubis trône devant un amoncellement d'offrandes.

Pour pénétrer dans le sanctuaire du fond, il faut tourner à angle droit, vers la droite, cette partie de l'édifice étant coudée comme une équerre. Ce Saint des saints est voûté. Sa décoration prouve que c'était, comme la plupart des édifices de ce type, un lieu d'initiation. Dans la niche terminale, nous découvrons deux dieux, Amon, le Principe caché de la vie en esprit, et Anubis, le conducteur d'âmes qui a conduit l'initié vers Amon. Hatshepsout est agenouillée devant le chacal. Elle l'a suivi en toute confiance, et retrouve son père Amon, le dieu qui l'a créée, de même que l'initié atteint à nouveau à la source dont il est issu. Détail significatif: une peau d'animal accrochée à une hampe. La symbolique de cette peau est essentielle. C'est celle du « vieil homme » dont l'initié doit se dépouiller pour devenir l'« homme nouveau », purifié, débarrassé de ses entraves. Lors du rite, l'initié, nu, entrait dans cette peau. Il redevenait embryon dans la matrice. Elle n'était plus alors vêtement que l'on quitte, mais ventre où se produisait une nouvelle fécondation d'ordre spirituel.

Ce petit temple est l'un des rares lieux où l'enseignement initiatique correspondant aux fonctions d'Anubis a été en partie révélé. C'était un « prêtre », portant un masque de chacal, qui officiait. Il évoquait cette « peau de résurrection » et indiquait les « bonnes routes de l'Occident » qui conduisaient à la montagne où la mort physique serait vaincue.

La terrasse supérieure ou troisième terrasse

Élevons-nous encore d'un degré pour accéder à la partie supérieure du temple (n° 10 sur le plan), point d'aboutissement de la longue rampe qui partait donc des parvis pour aboutir à ce sanctuaire. Admirable illustration architecturale d'une voie droite, sans détours, qui mène de l'apparence au réel.

Seuls quelques rares personnages avaient la possibilité de pénétrer en ces lieux. Il fallait être passé par l'enseignement d'Anubis et d'Hathor, avoir déjà franchi de nombreuses portes pour être admis dans ce « dernier cercle ».

La décoration de la rampe qui mène à cette troisième terrasse est intéressante: on y voit la déesse vautour de Haute Égypte et la déesse serpent de Basse Égypte. Autrement dit, en arrivant au troisième palier du temple, on concilie ce qui était double; la reine-pharaon réunissait les deux parties de son pays, qui correspondaient d'ailleurs aux deux parties de son être spirituel. C'est unifiée, cohérente, qu'elle pouvait aborder les grands mystères.

Cette terrasse a malheureusement souffert. Autrefois, il y avait un portique composé de vingt-deux piliers dits « osiriaques », car ils représentaient le dieu Osiris momifié.

Piliers osiriaques d'Hatshepsout.

La reine Hatshepsout, comme ses prédécesseurs, s'est faite représenter en statue "osiriaque" jubilaire mais à cette différence qu'elle ne tient pas seulement dans ses mains les deux sceptres du dieu Osiris,  héka (le crochet) et nekhakha (le flagellum). Elle a également saisi le signe de vie, ankh, et son complément ouas (à tête de canidé), évoquant l'action vivifiante solaire.
Les piliers jubilaires du temple de Deir el-Bahari évoquent donc la transformation jubilaire du Souverain-Osiris en un Souverain-Soleil.

 

Hatshepsout adoratrice du soleil : la réforme amarnienne en gestation

Le beau visage coloré d'une statue osiriaque.

C'était le passage de la mort à la vie. Hatshepsout, reconnue comme juste par le dieu des morts et par son tribunal, passait par le superbe portail de granit rose, véritable porte de l'autre monde. L'inscription du linteau est d'ailleurs lumineuse: « Horus donne la vie ».

Nous pénétrons alors dans une cour (26 m de profondeur sur 40 de large environ), autrefois bordée de deux rangées de colonnes sur ses quatre côtés. En partant de là, trois ensembles de chapelles qui sont trois expressions de la spiritualité vécue en ce lieu:

  • à notre gauche, au sud (n° 11 sur le plan), le sanctuaire de la reine Hatshepsout divinisée;
  • à notre droite, vers le nord, un sanctuaire solaire (n° 12) ;
  • face à nous, vers l'ouest, le sanctuaire ultime du temple (n° 13).
  • L'entrée du "sanctuaire de l'ouest" dédié à Amon.

    Ces trois sanctuaires forment un Saint des saints à trois facettes, correspondant à une certaine démarche de l'initié dans le temple. Ne nous dirigeons pas tout de suite vers le centre, vers la chapelle du fond, dans l'axe. Pour nous préparer à la rencontre avec le dieu suprême de ce temple, il nous faut d'abord déchiffrer les chapelles du sud et du nord.

    Dirigeons-nous sur notre gauche, vers la chapelle du sud (n° 11 sur le plan). Ce sanctuaire est celui d'Hatshepsout divinisée. Le thème majeur est même plus vaste, puisque le père de la reine, Thoutmosis Ier, est présenté, doté d'une chapelle qui lui est propre. C'est donc la lignée pharaonique, dans son aspect sacré, qui est ici évoquée.

    Pour pénétrer dans l'édifice, il faut passer par une porte ménagée dans le mur sud de la cour. Après un vestibule, on découvre, à gauche, la chapelle de Thoutmosis Ier, à droite celle d'Hatshepsout. Ils ne sont pas seuls. Il y a aussi l'inévitable Maître d'Œuvre Senmout qui s'est fait représenter, agenouillé, mains levées en signe de vénération, derrière une porte. Être loin de la reine lui paraissait impossible. À travers lui, ce sont tous les bâtisseurs qui rendent hommage au roi et à la reine divinisés. Mais Senmout avait su aussi être discret; il devenait invisible lorsqu'on fermait la porte.

    Nous sommes ici dans des appartements funéraires, dans une sorte de tombe où les âmes du roi et de la reine connaissaient la félicité éternelle. Des porteurs d'offrandes leur apportent les nourritures nécessaires. Dans la chapelle voûtée d'Hatshepsout, où règne une paix d'une qualité rare, on procède au sacrifice du bœuf et de l'antilope, animaux chargés d'une énergie particulière qui sera offerte au corps subtil des rois-dieux. Au fond de la chapelle, une stèle, point central du culte.

    Quittons cette chapelle, traversons la cour et dirigeons nous vers la chapelle nord, à droite de l'axe central (n° 12 sur le plan).

    Ce qu'on appelle « les chambres du Nord », ou « le sanctuaire du soleil » est un véritable petit temple consacré à la lumière. La chapelle d'Hatshepsout, avec son aspect fermé, intériorisé, était celle de la lumière cachée, nocturne; la chapelle d’Horakhty (Horus qui est dans la région de la lumière) est celle de la lumière révélée. Ténèbres et clarté, indissociables, sont ici complémentaires et non antagonistes.

    La structure de ce petit édifice est simple : d'abord un vestibule dont le fond est occupé par une niche où se trouve la reine Hatshepsout, grave et recueillie, puis une cour avec un autel en son centre pour célébrer le culte du soleil en plein air et face à l'est. Sont rassemblés la reine, Rê-Horakhty, dieu de lumière et Amon. Hatshepsout, fait notable, porte ici le plus sacré et le plus symbolique de ses noms: Maât-kâ-râ, « l'Harmonie universelle est l'énergie de la Lumière divine ». Certes, il faut être pharaon pour porter un tel nom, qui est particulièrement justifié en ce sanctuaire du sommet de la montagne, où l'on est saisi d'une intense émotion. Là se célébrait le rite du soleil levant auquel quelques initiés - la taille de la cour prouve leur petit nombre - participaient, priant pour que la lumière sorte une nouvelle fois des ténèbres. C'est la tradition de la vieille cité d’Héliopolis: si les initiés n'œuvrent pas pour faire se lever le soleil, celui-ci ne sortira plus du royaume des ombres et la terre sera condamnée au désordre.

    C'est aussi l'annonce de la fameuse religion solaire d’Akhenaton. Le grand temple d'Amarna, malgré ses dimensions considérables, ressemblait à ce petit sanctuaire pour la conception générale : un culte vécu à ciel ouvert, en présence du disque solaire dont les rayons donnent la vie.

    Dans une chapelle exiguë, à droite de cette cour, nous retrouvons Anubis. Le guide des morts s'est placé tout près du soleil, sans doute parce que les défunts reconnus justifiés vivent à jamais dans la lumière dont ils étaient issus. De plus, Anubis veille sur toute la proche famille d'Hatshepsout, notamment son père et sa mère, comme s'ils avaient traversé la cour, comme nous l'avons fait, pour communiquer avec le soleil levant.

    Nous sommes maintenant en mesure d'achever notre périple et de pénétrer dans la partie centrale du Saint des saints. Revenons donc au centre de la cour et dirigeons nous droit devant nous, dans l'axe du temple, pour pénétrer dans le
    « sanctuaire de l'ouest » (n° 13 sur le plan).

    Nous entrons à présent dans le domaine secret du Maître du temple, le mystérieux Amon. Certes, nous l'avons vu, la vache Hathor et le chacal Anubis sont très présents à Deir el-Bahari; mais le souverain des lieux, celui qui est placé au sommet, c'est le père divin de la reine Hatshepsout, le dieu d'empire Amon, celui dont nul être ne connaîtra jamais la vraie forme.

    Deux détails encore, avant de progresser: de part et d'autre de l'entrée du Saint des saints, on verra, dans le mur, neuf niches. Elles contenaient neuf statues de la reine Hatshepsout qui, en se divinisant, devenait donc à elle seule l’Ennéade, cette « compagnie divine » qui détient les forces de création. Autre fait notable: aux deux extrémités de ce mur existent deux petites chapelles. Celle de gauche, vers le sud (n° 14 sur le plan), est fort curieuse en ce sens qu'elle révèle l'existence d'un couple divin, Amon et son épouse Amonet, le Caché et la Cachée.

    Pour entrer dans le lieu qu'elle considérait comme le plus sacré en ce monde, Hatshepsout chaussait des sandales blanches, pour ne point souiller le sol. Recueillie, silencieuse, elle découvrait la première salle où se trouvait la barque divine d'Amon. Nombreuses sont d'ailleurs les représentations de barques à Deir el-Bahari, car Amon était le maître du vent favorable qui gonflait les voiles et permettait aux embarcations qui circulaient sur le Nil d'arriver à bon port. Bien entendu, c'était une barque en réduction qui était conservée dans ce sanctuaire où Hatshepsout et Thoutmosis III font l'offrande du vin d'Amon et à des souverains qui les ont précédés. C'est la famille royale, au sens le plus large, qui se rassemble pour vénérer Amon dont les reliefs évoquent les doux jardins et le culte de sa statue. Malheureusement, du noir de fumée empêche d'apprécier ces reliefs à leur juste valeur. Il n'en reste pas moins que l'extrémité du temple de Deir el-Bahari était ce lieu exceptionnel où la plus grande des reines d'Égypte venait s'entretenir avec son père Amon des affaires du ciel et de la terre.

    Les surprises de Deir el-Bahari

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